Il me semble que c’est un jeu de patience, de patience et de dénuement.
Des morceaux d’os blanchis qu’on fait sauter dans ses mains en attendant le lendemain.

15 sept. 2009

Le patron de Segal

Plus jeune quand je remontais tard le soir le boulevard Saint-Laurent, je le voyais souvent derrière la vitrine de son commerce fermé, affairé à quelques obscurs décomptes qu'éclairait la faible lumière d'une lampe posée sur une caisse. Il pouvait être minuit qu'il travaillait encore. Je remonte aujourd'hui du Sud au Nord assez tôt le matin, non pas le boulevard Saint-Laurent mais sa première parallèle à l'Est. Je le vois encore. Il porte les mêmes vêtements informes, les cheveux hirsutes, le poil pas rasé. De ce côté-ci du commerce, il négocie, il supervise les marchandises qui rentrent, il signe des bons de livraison. Ce matin au volant d'un monte-charge, il flirt avec l'une de ses caissières. Debout à côté de l'engin arrêté, elle tient son café d'une main et bourre de l'autre l'épaule du patron de petits coups moqueurs. Elle rit la tête en arrière, lui ne rit pas mais cela se voit qu'il joue aussi. Je passe à vélo à côté d'eux, je les dépasse, je ne peux m'empêcher de tourner la tête pour les voir encore. Il garde inattaquable cet air têtu et juvénile qui le distingue. Il est en affaire.

11 sept. 2009

Le zèle

Il est 11h30, les étudiants et professeurs sont rassemblés en cercle autour d'un maigre buffet. Je suis l'une d'entre eux, on me sert un verre de vin rouge, je sacrifie au rite. Accueil, présentations, bons mots et rires complices, je deviens sentimentale. Je dis merci droit dans les yeux, j'encourage les timides, je fais circuler le bol de chips. Je faillotte à planche, je veux en être, une bonne élève. En partant, je m'arrête à la cafétéria manger une mauvaise salade de riz, pour dégriser.

9 sept. 2009

La technique

Le fleuve est très tumulteux à cet endroit, une vitesse dans l'eau qui me fait serrer plus fort la main de la petite. Sur la berge à nos pieds, cinq kayakistes en apprentissage bien alignés mais tendus, la main qui vérifie encore la jupe qui pourrait ne pas tenir. Plus loin dans les remous, un homme pagaie contre une vague et son courant, il sourit à son aisance et à sa force, il est le professeur. Il se distrait laissant aux apprentis le temps de s'installer. Ceux-là l'attendent avec humilité depuis plusieurs minutes. Juste avant d'exagérer, il fait deux trois mouvements techniques, hop et hop et le voilà devant eux qui commençaient à prendre le bouillon en grippe, « alors on est prêt ?».

1 sept. 2009

Le grillon

En me penchant sans mes lunettes, je croyais à un morceau de chocolat oublié sur le sol de la cuisine. Au contact pelucheux sous mes doigts, ah non mais qu'est ce que c'est ? Je me penche plus près c'est un grillon. Il n'est pas mort mais il n'est pas fort. Est-ce le bleu du placard qu'il aura pris pour la mer ?

La couleur de l'action

Ils sont repartis, bourdonnants d'action et de mots pour la souligner «nous avons trouvé un producteur... il faudra manger sur le set... connaissez vous quelqu'un avec une voix radiophonique pour la voix off... nous cherchons une preneuse de sons». Silencieux et minimes, nous refermons la porte derrière ces amis et leurs importances. Nous avons repeint les portes du placard de la cuisine. Nous nous regardons et de nouveau le placard. Ce bleu vibre d'un drôle de halo jaune. Nous choisissons une autre couleur que nous appliquons par dessus. Il aime beaucoup, il me le dit. Nous regardons la couleur la tête penchée en attendant qu'il se passe quelque chose.