Il me semble que c’est un jeu de patience, de patience et de dénuement.
Des morceaux d’os blanchis qu’on fait sauter dans ses mains en attendant le lendemain.

31 mars 2009

Le chien

Nous traversons la ville en son milieu par la rue principale qu'on dit nationale. Nous ne sommes pas seuls, bientôt coincés dans un embouteillage. Il fait chaud, je suis assise à l'arrière car je suis une enfant. Les voitures sont à touche touche, leurs vitres baissées, je suis à l'arrière de l'une d'entre elles. Dans une autre à côté, de mon côté, il y a un chien assis. Il tire la langue comme font les chiens qui ont trop chaud, il bouge une tête stupide comme font les bêtes domestiquées. Je le regarde, il me regarde, je le vois me voir. Je ne sais pas si le dégoût vient avant la honte mais je rougis.

28 mars 2009

Réunion de production

- Voilà ce serait à peu près ça ... mais bon ... l'histoire ne compte pas, pas tant que ça... Ce que j'aimerais réussir à rendre c'est .. un esprit, une atmosphère. Laisser croire que tout est possible.
Il se tait, les gens hochent la tête. Il plonge dans son sac sous la table, il fait semblant de chercher quelque chose pour se soustraire à cette gêne. Plié en deux, la tête en bas, il se demande où puiser l'énergie et le courage de remonter. S'il restait penché comme cela, est-ce que les autres partiraient ? Il se redresse, un stylo entre les doigts.
Quelqu'un se racle la gorge à l'autre bout de la table de réunion :
- En lisant le... le scénario, je crois avoir décompté 12 extérieurs différents, très différents.... tu penses vraiment que ce soit nécessaire à l'histoire ?
- Non... non non...et puis je me disais qu'on pouvait signifier cela de façon très simple... des posters suffiraient pour marquer ces décors différents.
Le chef-décorateur le regarde l'air suspendu et finalement peut-être insulté : « tu dis des posters ? ... des posters ?». L'équipe le regarde. Lui aussi.

26 mars 2009

Une figure possible

Les modalités de l'action

- La grève n'est pas une finalité en soi. Si nous devenons trop mous, il ne se passera rien.
- Je suis avocate; je suis ici pour vous donner une interprétation restrictive de l'injonction qui a été déposée hier contre vous. Le reste je ne veux pas l'entendre.
Elle se tourne vers Jean-Michel à ses côtés, il garde les bras bien croisés et le regard haut. Elle rit en se balançant de droite à gauche, décroise les jambes et tient mollement le micro. Elle est assise sur le bord de la scène devant la maigre assemblée ce matin de professeurs en grève. Les purs et durs me dit-on, « il y aura plus de monde à l'assemblée consultative ». La veille une injonction a été émise à l'encontre de leur syndicat pour interdire les actions des grévistes qui nuiraient au bon fonctionnement de l'Université. Il ne faut désormais plus empêcher, intimider, bloquer, faire, nuire, ordonner et ce dans un périmètre de moins de 5 mètres.
Le téléphone de Jean-Michel sonne. Il porte un brassard du CSN au nom duquel il doit promulguer des conseils sur les modalités possibles de l'action. Il n'est pas professeur, il s'occupe des modalités. Debout au pied de la scène, il regarde son téléphone qui brille dans sa main, il le porte à son oreille en s'éloignant, l'air important.
Une question dans la salle, une professeure à qui on dit « plus fort! » répète plus fort :
- Est-ce que dessiner un périmètre de 5 mètres à la craie pourrait être considéré comme du vandalisme ?
L'avocate hoche la tête pour peser le pour et le contre. Jean-Michel qui est revenu se tient le menton l'air problématique et finalement conseille : « C'est sûr qu'il ne faut absolument rien mettre sur les murs; bon sur le sol, la craie... peut-être que ça peut passer ». Un silence dans la salle.

22 mars 2009

Avant le souper

Elle est impossible, nous sortons. Il fait beau mais encore froid. En bas des marches, elle dit non non plantée sur ses deux pieds. Je la tire vers le soleil récalcitrante. Nous marchons à reculons sur la rue Mont-Royal, elle regarde le bus à l'arrêt, le suit des yeux quand il démarre. Elle s'assoit sur une marche, je m'assois à côté. Je tend mon visage vers le soleil, elle gigote un peu pour se coller mieux. Je la regarde de tout près pour comprendre son problème. Elle a des traces de larmes sur les joues, le nez et le menton mouillés, le bonnet trop grand au ras des yeux, l'anorak plein de miettes et ses mains dodues qu'elle voulait nues toutes rouges de froid. Elle consent à sourire au milieu de tout cela. Assises sur un trottoir dans la poussière du soir, nous aimons ne plus avoir de but.

18 mars 2009

La consultation

Je suis là parce que j'ai rendez vous. La secrétaire a vérifié ma carte d'assurance maladie, pris l'empreinte de ma carte d'hôpital. Je suis la bonne personne qui va avec cette carte et mon dossier affiche les coordonnées rassurantes de ma vie. Mon adresse, mon téléphone, celui de mon mari en cas d'urgence. J'ai rendez-vous et j'attends mon tour. Sur les murs, des affichettes insistent en rose et en délié sur des problèmes intimes, parlons en! sans préciser à qui. J'entends mon nom.
Je suis une infirmière, j'ai commencé mon chiffre ce matin à 9h. Je prends les dossiers, j'appelle des noms, des femmes se lèvent que je répartis dans les salles d'examen. Celle-ci à la salle 3 avec le docteur Landry.
Il y a le bureau du docteur, petit et impersonnel; il y a la chaise d'où l'on répond avec application; il y a une autre chaise pour poser ses effets derrière un rideau qu'on peut tirer. La table d'examen bien au milieu et une jaquette à motifs posée dessus.
J'enfile la jaquette par dessus mon chemisier et ma culotte, en bas les chaussettes. Je croise mon reflet dans la glace, je me demande si je ressemble aux autres. Il entre, il s'assoit tout de suite au petit bureau. Surprise devant le miroir, je ne suis pas à la bonne place, ça perturbe l'organisation de la salle et celle prévue des corps. Il est le docteur Landry. Je passe derrière lui et m'assois sur la chaise à sa droite. Il demande sans me regarder : on s'est déjà vu?

15 mars 2009

Comme dans un Truffaut

Il porte un chapeau et une barbe, une cravate et une veste, aux pieds des espadrilles. Il est vraiment lui comme ça. Il chante, il joue, et sa voix et ses gestes s'accordent très simplement. Il danse un peu d'avant en arrière. Tout ce qu'il fait lui ressemble, lui appartient. Les jeunes filles à côté dansent en fermant les yeux. Je ne bouge pas trop, j'essaie d'être là. Nous sortons, la rue est déserte et venteuse, on dirait un western, nous sommes quatre amis. La vie est dure mais elle est belle et c'est pour ça qu'on y tient tellement.

9 mars 2009

Le décompte

Nous avons sonné, je l'ai regardé. J'aurais pu en attendant avoir ces gestes, on tire un peu, on époussette, on arrange le col. La porte devant laquelle nous attendons est vitrée, elle donne sur un vestibule fermé par une autre porte à rideau qui cache une agitation. La première s'ouvre, ils courent, ils sont là tous les deux. Le grand est excité et se rue sur la poignée pour ouvrir la seconde. Plus bas la petite se fraie un passage, l'air qui veut pleurer. L'émotion lui fronce le nez et tord la bouche. Il se jette dans les bras de son père, je n'ai que le temps de l'effleurer. Je la prend tout doucement, elle me regarde sans sourire vraiment. Je pensais à ce moment, nous nous serrions si fort que je sentais leurs corps de là où nous étions, loin d'eux, mais elle se tient raide dans mes bras et un peu en arrière. Je cherche son abandon avec les gestes habituels, le nez dans le cou et sur les joues. À côté, mon fils montre sa main doigts écartés et dit « ça n'était pas ça ... », il montre encore sa main plus deux doigts de l'autre : « mais ça! ».

8 mars 2009

Jeu de cubes

En fait il ne s'agit pas de vengeance, ni d'aventures, pas même d'amour. C'est plus simple et c'est moins drôle. Je veux montrer une histoire comme un cube : produire assez d'angles pour en deviner le volume, donner certaines des faces, mais pas toutes, ni les déplier. Tracer un dessin lacunaire mais précis.
La première histoire est une histoire de reconnaissance, celle que l'on attend, celle qu'on reçoit, la balances des deux, les comptes qu'on arrange. Des choses arrivent douloureuses mais comme des cuticules, pas plus graves que ça, enfin pas toujours. L'homme de cette histoire est un cinéaste, il montre son film dans une ville qu'il ne connaît pas, il espère ainsi échapper à une malédiction. Personne ne lui dit directement mais le public n'aime pas, il le comprend assez vite et on ne le détrompe pas. La malédiction est à l'intérieur même de son projet et c'est elle qu'il faudra essayer de voir.