Il me semble que c’est un jeu de patience, de patience et de dénuement.
Des morceaux d’os blanchis qu’on fait sauter dans ses mains en attendant le lendemain.

30 août 2013

La manœuvre

Ils ont trouvé une nouvelle façon de ranger les enfants dans la cour le matin. Ce ne sont plus des rangs qui hérissent le mur en peigne, chaque branche une classe que la sonnerie vient défaire, le peigne s'ébréchant de ces petits bâtons d'enfants au fur et à mesure de leur absorption par le bâtiment. Il y a une nouveauté. Désormais, les enfants vont deux par deux et à la queue leu leu se placer le long du mur de l'école. Une longue frise vivante vibrante encore irrégulière. Des branches du peigne, il ne reste que l'arête centrale devenue serpent à deux têtes : à une extrémité et le long de la grande façade, ce sont les plus grandes classes qui pénètrent dans le bâtiment par la porte est ; à l'angle droit de la façade et du mur latéral, le serpent change de direction, les petits orientés vers la porte sud. Le professeur, seul au milieu de la cour ainsi bien dégagée, observe et apprécie la grande manœuvre. Je me place derrière la grille au point précis où je peux voir en même temps mes deux enfants s'éloigner chacun dans une direction différente.

5 juil. 2011

La plongée

Je vais arrêter de tenir ce blog, je veux essayer de continuer différemment sans les applaudissements muets mais chaleureux de l'internet. Merci merci merci.

10 juin 2011

En studio

Elle chante debout devant le ventilateur son micro. Elle colle presque sa bouche, sa voix frise dans le grand vent : le souffle qui la repousse en plie un peu les sons. Elle invente au fur et à mesure du chant, un déhanchement en contre-temps, si elle savait elle fermerait une main en coquille sur son oreille.

31 mai 2011

La game

Il est appuyé épaules et tête contre le mur de briques, sa trottinette pend au-bout de son bras abandonné. Sans voir son visage ni l'entendre je sais qu'il pleure. Nous sommes dans la ruelle, dans la lumière du soir je m'approche de lui et j'ajoute à la liste de ses devoirs, comprendre les filles.

22 mai 2011

L'aspiration

Ils ont été attirés par la lumière, ses feux rougeoyants qui font croire qu'on n'aura pas froid. Ils s'entrainent l'un l'autre sur le chemin au milieu des herbes hautes des herbes rouges encore plus de ce soleil incroyable qui va se coucher. La curiosité les réchauffe, découvrir ensemble ce monde du bout du chemin. Brutalement leur joie devient plomb aux rayons disparus comme les herbes qui s'assombrissent et le froid qu'on n'avait plus senti capture. Tout est trop léger pour l’empêcher, il gratte au bord des manches serre les cous les fronts les pieds, le corps nu sous son emprise. Pauvres papillons pourquoi êtes-vous allés si loin.

21 mai 2011

La capture

Il pleure. C'est son chagrin qui montait. Nous l'avions vu de loin comme dans les westerns le nuage de poussière à l'horizon transformé plus tard en cavalcade bruyante et m'as-tu-vu dans la rue principale du bled. Son chagrin à lui n'a rien à prouver, il force le petit qui finit par céder sous son emprise, secoué par ses sabots puissants. Son chagrin c'est l'école. Nous dormons mal, justiciers désarmés aux rêves d'incendie.

Le signe

Pour m'encourager, elle tend sa main face à moi, paume ouverte, doigts écartés. Je mets du temps à comprendre qu'il faut, pour que ça marche, que j'y appuie la mienne, paume ouverte, doigts écartés, avec assez d'élan pour que ça n'ait pas l'air d'une prière.

10 mai 2011

La surprise

Je pédale vite pour ne pas arriver en retard au souper. Ma fille derrière sur le porte bagage me parle il y a du vent j’entends mal. Elle dit je crois que tu vas être contente elle dit encore des choses que je n'entends pas. Elle dit et cette fois en criant ON T'A ACHETÉ UNE ROBE À POMPONS. Je ris je ris à cause des pompons et de la mèche vendue avec candeur.

6 mai 2011

Le lit

Elle tombe du lit. Souvent, régulièrement. L'autre soir pile au moment où je rentrais dans leur chambre. Je vois son corps rouler sur le côté et tomber, mon élan trop tardif pour la récupérer. Le corps mou du sommeil décompose la chute plus lentement mais aussi inexorablement. Je me demande quand se disciplinera cette enfant aux dimensions réduites de son espace nocturne.

4 mai 2011

Les idées

Pour ne pas les perdre en sortant de la bibliothèque je les dis à voix haute, je les organise. Je parle en exposé très sérieusement et tout en dépend. Je joue et je ne joue pas. Je m'accroche je me tiens. Je soupèse je marche. Quand je croise sur le trottoir quelqu'un que je n'avais pas vu venir et qui surprend mon soliloque je marche plus vite les sourcils froncés les lèvres pincées. L'intrus passé je reprend le marmonnage.

28 avr. 2011

Analogie

Elle découvre Star Wars derrière son frère. Elle déplace le sens des actions et des personnages de la série galactique dans sa propre cosmogonie. Ainsi le droïde R2D2 devient lardeuxD2 petit fétiche de plastique qu'elle fait voler au-dessus de sa tête.

24 avr. 2011

Le moins

- Si je pouvais... mais je n'ai pas d'argent, on n'a pas d'argent, pas une cen', rien dans mes poches.
Nous marchons entre les rayons d'un magasin de jouets, une vieille promesse que nous avons finit par tenir lâcher sous l'usure de la demande. Je marche dans les rayons ma fille restée fixée devant des poupées blondes son frère accroupi avec son père qui détaillent le contenu d'une petite boîte de légo. Mon œil ne se fixe sur rien. J'écoute un autre père et son fils, il est jeune il parle fort l'enfant a 6 ans. Ce que dit le père rebondit contre les rayons colorés et fracture l'espace d'achat de sombres petits éclats sonores. Il dit qu'il n'a pas d'argent. Il dit qu'il ne peut rien acheter, non pas même cette épée à 10 dollars cinquante. Il le dit autant à nous qu'à son fils à qui je voudrais dire sors, sors. L'enfant silencieux glisse ses mains sur les rayons, retenues par la rengaine de son père : j'ai pas d'argent, on n'a pas d'argent, si j'avais ...je sais pas... 1000$ ... je t'en achèterai des choses.
Nos enfants ont choisi, deux cadeaux à presque 20$ chaque. Je paye nous sortons, derrière nous l'enfant et son père restent encore à soupeser.

12 avr. 2011

Le ralenti

Sous la pluie la femme policier replie la couverture de survie qui attrape la lumière des gyrophares. La jeune femme porte un unique gilet pare-balles sur sa chemise bleue claire boutonnée haut. Ses gestes sont précis indifférents à ce qui tombe du ciel. Une ambulance et plusieurs voitures de police sont stationnées entre deux cordons de sécurité orange que protègent encore deux voitures de police pour bloquer ce segment d'avenue. Il pleut il fait nuit je roule au ralenti dans le sens inverse. Des hommes des femmes s'affairent : l'un accroupi referme les rabats d'un sac de matériel, il se lève et marche vers l'ambulance. Deux autres replient une civière, plusieurs forment un groupe serré, conciliabule. Je tourne après le barrage sur ma gauche pour rejoindre mon bureau. Une voiture dans l'autre sens veut forcer le cordon et attend qu'on lève l'obstacle devant son impérieuse volonté dont témoigne son clignotant. Le policier assis dans la voiture qui fait barrage ouvre sa portière et sans descendre adresse au chauffeur un geste écoeuré dont je pourrais sous-titrer toute l'incompréhension lasse. En gros et pour le dire poli «Qu'est-ce tu crois que tu fais, là?»
Je longe la track de chemin de fer, bientôt arrivent des phares dans mon rétroviseur, c'est l'ambulance que je viens de croiser. Elle roule patiemment derrière moi qui ne vais pas vite. Aucune des lumières qui signalent habituellement son urgence n'est allumée. Sans doute que ça n'est plus la peine.

3 avr. 2011

Le bois

Nous pédalons entre deux rangées de bois serrés troués régulièrement par un terrain dégagé autour d'une maison proprette ou délabrée et hostile. Nous craignons les chiens qui surgissent des propriétés; la plupart sont attachés et aboient au bout de leur chaîne. Nous accélérons pour quitter leur territoire, ne pas tirer trop sur la corde qui les retient. Mais d'autres sont libres ils s'élancent sur la route au devant de nos roues. La peur me galvanise, ma fille contre mon dos terrifiée cache ses yeux sous son casque. Je crie d'une voix forte «couché le chien» je crie plus fort en direction de la maison «rappelez votre chien». Les maisons les portes et les fenêtres restent muettes. Ces bois sont l'arrière-pays du Québec, une nature dure frontale qui ne reconnaît que les siens.

4 mars 2011

Le téléphone

Sa voix arrive dans mes oreilles pleine d'effort et d'attente. Elle ne répond pas vraiment mais elle garde le combiné, elle est là dans son souffle je la vois. Je parle pour la distraire je mêle mon souffle au sien. Et puis j'entends ça monte tout d'un coup un grand cri rond qui lui sort de la bouche. Je ne peux plus la rejoindre mais elle ne rend pas le combiné. Alors on lui prend alors on raccroche.

2 mars 2011

Le saut

Elle plie les genoux les bras se tendent un peu en arrière, le buste penché en avant avec la tête quand même qui tire vers le haut pour s'élancer. Attention elle va sauter. Ah. Les pieds au sol se refusent à la synchronie, ça n'est pas encore un saut ils ont fait tap tap. Elle recommence. Attention elle va sauter. Elle se ramasse, elle tire de toutes ses forces, les pieds décollent du sol, pas longtemps mais en même temps. C'est un saut. Elle nous regarde ravie : elle a sauté et voilà une clairière qui s'ouvre.

24 févr. 2011

L'ami

Il a un nouvel ami qui est plus vieux que lui. J'ai compté, quatre ans. Je me demande on se demande je lui demande « mais ça va? il a des amis de son âge? ». Mon fils réfléchit et répond « oui mais les autres sont plus solitaires et lui il est solidaire ».

26 janv. 2011

L'enfance nue


L'enfance nue, Maurice Pialat, 1969.

Elle regarde la voiture qui l'emmène s'éloigner, lui aussi à l'intérieur tord un peu son cou pour continuer à la voir. Elle se serre dans ses bras, l'air humide du matin qui la pénètre. Elle se retourne soudain vieillie, suit le petit chemin dallé et monte les trois marches du perron de la cuisine. Elle ne regarde pas l'auto qui tourne le coin de la rue, il part, il est parti, elle n'en voulait plus et maintenant elle ressent au fond d'elle-même sa responsabilité de l'aimer. Son premier geste dans la cuisine est de prendre son bol et sa cuillère laissés sur la table pour les laver sous l'eau du robinet; elle les repose délicatement sur la céramique blanche et cannelée qui sert d'égouttoir, elle les repose tout doucement et cette délicatesse est pour lui, toute sa délicatesse qui lui reste qu'elle ne peut donner sinon à cette cuillère et à ce bol c'est pour lui. Elle ira faire les lits et défaire celui du garçon parti. Il faut toujours tenir l'ordre car il est le plus important, il a la priorité, on doit le protéger du chaos des sentiments autant qu'il nous protège d'eux. Elle attrape un torchon qui pend à son endroit, une barre fixée sur le côté de l'évier, elle s'essuie les mains et glisse à nouveau le torchon à cet endroit. Puis elle revient à la table de la cuisine où la fillette finit ses céréales dans un bol identique à celui que sa mère vient de laver.

19 janv. 2011

La girafe

Je cherche partout un cache-cou, oui le violet, celui de la petite. Je pars avec le grand tant pis pour le cache-cou. Je marche m'applique à ne pas m'agacer des soupirs derrière moi, enfant esclave et sac de plomb. Il a trop chaud il enlève ses mitaines. Je lui trouve un air engoncé plus que d'habitude, je me remets en marche vigoureusement pour l'aspirer. Plus loin je me retourne je l'attend approcher et là je le vois : la tuque au ras des yeux le rouge aux joues qui n'en peuvent plus, il a deux cache-cou, au-dessus du bleu le violet. Incrédule je le pointe, il dit «quoi?» avec la voix anéantie d'une onzième plaie d'Égypte.

16 janv. 2011

Itinéraire bis

Je mange sans regarder je me ferme dans la douleur qui barre mon dos, une épaule plus haute que l'autre, tout le monde à ma gauche en angle mort. Mon fils mange son yogourt. Il me jette des regards je le sens bien je fronce les sourcils en parade contre toute tentative. Il y va quand même il dit « T'as pas envie de rire on dirait » je ne réponds pas vraiment en fermant un peu les yeux. « Ça parait » qu'il ajoute en raclant son bol consciencieusement. J'hésite devant l'embranchement que m'ouvre cette réplique : vers le sud, je rigole un peu; vers le nord, je resserre encore. Je choisis le nord.

12 janv. 2011

Sans titre

Je lis une partie de la nuit le blog d'une femme morte. Elle écrit sur sa maladie qui l'emporte. Je ne sais pas pourquoi je sais pourquoi je suis ainsi suspendue. Ma fille se réveille en pleurs je m'allonge auprès d'elle je continue ma lecture le petit écran brille dans le noir. J'apprends une chose importante sans nom ni sentiment je crois que ça à voir avec le vide. Par habitude je voudrais avoir peur mais ça ne vient pas, rien ne vient combler cet espace découvert.

21 déc. 2010

La ceinture blanche-jaune

Je pousse la porte du dojo, je pense le mot exprès pour le comique vague du n perdu dans les douves. C'est le jour du grade les parents sont là, les enfants sur le tatami en ligne. Deux par deux la monitrice les appelle pour commencer l'épreuve. Je rejoins mon mari qui me fait signe je passe devant les autres penchée comme au cinéma. Je m'assois doucement sur le banc à ses côtés il chuchote « il va passer ». Notre garçon passe. Le moniteur lui dit « accepte la chute ». Il tape sur le sol après qu'il tombe. Il faut faire cela pour accepter ça ne s'explique pas très bien ça se voit, comme une reconnaissance du sol. Je regarde mon fils les yeux au plafond chercher le mot japonais de la prise qu'il vient de faire, la main suspendue du moniteur au-dessus de sa grille d'évaluation, celle de l'enfant vers nous dans un coucou enfantin qui échappe à la technique.

8 déc. 2010

Une promenade

Je marche dans le nouveau quartier où j'ai installé mon bureau. Je suis sortie acheter une machine à café, je prends mon temps pour regarder. Il a neigé tant et tant tout est ralenti, tout est plus étroit, les passages, les bruits. J'achète un bodum et ensuite je remonte une autre rue. Un homme déneige sa voiture, juste en chandail et une tuque. Je me dis qu'il doit travailler chez lui pour déneiger si tard, peut-être qu'il va chercher ses enfants, peut-être qu'il ne travaille pas. Une femme ouvre sa porte et déblaye son pallier du rez de chaussé, elle porte un foulard et un manteau sur un pantalon de pyjama en satin bleu poudre. Plus loin un homme est penché sur une serrure qu'il essaie de forcer, sans doute a-t-elle gelé. Une femme attend juste derrière lui. En marchant, je tourne la tête un peu pour les voir mieux, du coin de l'œil elle me voit les regarder et me suit des yeux quand j'avance. Je vois au ralenti son sourire se former et le mien en retour qui répond ça arrive, c'est pas grave.

16 nov. 2010

La collection

Sous son oreiller ce matin en faisant le lit : une poignée d'élastiques chacun d'une couleur et d'une forme différentes, on les passe au poignet, certains viennent de Boston, d'autres ont été donnés par une amie assidue; deux tout petits lémuriens en plastique dressés sur leurs jambes; un sanglier en plastique qui tient dans la main, on actionne sa tête par un piton sur son dos ; une petite boîte bleue au couvercle transparent, à peine plus grande qu'un dé; c'est la boîte des pois sauteurs du Mexique qui se transformeront en papillons à la fin de l'hiver. Je tapote l'oreiller que je replace sur la collection.

8 nov. 2010

La peau

Il y a la clôture, celle des limites qui nous encadrent et nous protègent en même temps qu'elles serrent un peu trop. Et la transmission, ce qui se donne auprès du feu dans le calme du camp bien installé. C'est la fiction que la limite rend possible, ce sont un peu de chimères mélangées nostalgiques, on peut boire avec ou se faire un troisième marshmallow. Eustache chante en karaoké «comme un légo avec du sang» dans le silence de notre écoute, Billie abdique pour ce soir son exploratoire résistance. Les cheveux brillants du shampoing avec son père, les yeux secs, nous sommes encore debout.

1 nov. 2010

La fumeuse

Je passe devant la table à pique-nique installée le long du RONA qui fait le coin de Mont-Royal et des Érables. Les employés du magasin y prennent leur pause, une cigarette et l'été le lunch, le plus souvent seuls. C'est toujours elle que je reconnais depuis deux ans, elle porte aujourd'hui les cheveux courts sous sa casquette. Une fois je l'ai croisée au rayon peinture, sa spécialité. Elle a cet air de Tom-boy que j'aime bien et qui s'accentue avec l'âge. Elle fume assise à la table ou debout tapant des pieds quand il fait froid. Nos regards se croisent à force nous ne savons plus si nous pouvons nous saluer.

17 sept. 2010

Les guèpes

ils vont voir le pommier, ils sont pieds nus ou presque. Dans l'herbe fauchée ils ne le voient pas mais ils marchent sur un nid. Ils se font attaquer. L'ami attrape la petite dans ses bras et court vers la maison, elle hurle, le frère suit derrière. Le père est dans la cuisine, il regarde l'heure, midi, il se précipite dehors. La mère sort de la grange. Je reconnais le hurlement et son urgence, je cours vers eux, je crie des questions. Il la pose devant moi, je soulève la robe, quatre ou cinq guêpes volettent encore en-dessous. Arracher la robe, trembler, compter les piqûres, ne pas paniquer, paniquer. Le frère n'a rien, il reste en retrait, l'ami est tout piqué aussi et son visage est très blanc. La nuit les guêpes attaquent encore la fillette dans son sommeil qui se réveille en criant de peur.

13 sept. 2010

Ce matin

Nous rentrons dans la cour de l'école avant la sonnerie. Il y a du monde, des petits maternelles et des presque grandes comme moi. Mon fils trace la route, je le suis de près, ma fille derrière qui disparait un peu. La voilà dans son ciré, je lui tiens la porte mais elle ne me voit pas. Je vois son visage, la tâche de dentifrice au coin de la bouche, je vois ses mains jointes qu'elle pousse au devant d'elle dans une brasse précipitée pour fendre la forêt de bras, jambes, sacs. Je vois son air inquiet, ses yeux qui nous cherchent. Je suis là, plus haut, au-dessus.

12 juil. 2010

La consultation

Je règle la note et j'attends mon reçu. Puis elle se lève. Je me dirige vers la porte elle devrait m'y accompagner. Elle reste sur place. Je comprends du coin de l'œil. Pendant notre discussion dans le bureau surchauffé elle avait retiré discrètement ses gougounes. Immobile et droite elle tente maintenant de les enfiler, en vain. Je sors pour la laisser y mettre les mains.

5 juil. 2010

La taille

Assis dans la salle d'attente en face de nous il y a nos anciens voisins. Le fils et ses longs cils délicats, le regard triste au-dessus d'un duvet de moustache, je ne le reconnais pas. Sa mère qui me faisait peur, oui. Nous ne nous aimions guère, nous sommes désormais de parfaits étrangers. Sauf que. Elle me jette des coups d'œil, elle dévisage ma fille. Elle doit mesurer le temps passé, évaluer ce qu'est devenu ce bébé que je trainais partout. Je ne peux détacher mes yeux de ses pieds qui flottent d'avant en arrière une dizaine de centimètres au-dessus du sol. Bizarrement ce détail enfantin qui la marque ajoute à son autorité.

6 juin 2010

La pluie

Il pleut il pleut il pleut. Le grand est avec son père sur le lit, la petite dort déjà. C'est la sieste je résiste. Le grand se lève pour chercher un autre livre je prend sa place. J'entends les autres qui bougent, le père et son fils crient autour d'un jeu, la petite dort, je m'endors d'un faux sommeil d'ennui. Je ne bouge pas je ne bouge pas je ne bouge pas. On vient me chercher, des enfants chauds et énervés se couchent sur moi. Je ne bouge pas je ne bouge pas. Je bouge je maugrée. Nous sortons tous sous la pluie, elle nous coule dessus enfin je sens quelque chose. Nous jouons à épervier en chasse dans la ruelle.

31 mai 2010

Le feu

La forêt brûle dans le nord. Cette nuit je me réveille avec toute cette odeur de feu rendue jusqu'à nous. Je cours dans la chambre des enfants. Tout va bien. Ça vient de plus loin je me souviens ça vient du nord, de cette forêt qui brûle avant que nous ne l'ayons vue. Ce soir dans les rues planent à nouveau les traces de l'incendie et les cendres font comme une lumière d'orage.

27 mai 2010

La nuit

Nous avons bu nous buvons encore. À un moment on nous remplace un peu le vin et la bière par du thé. Alors il faut partir. Dehors la nuit est chaude et douce. Non, dehors c'est un peu cru et le cadenas résiste dans le noir. Nous essayons de pédaler droit sous les yeux des amis qui font babaye du balcon. Tourner à gauche en danseuse comme si c'était facile. Puis la chance souriant aucun des deux encore tombés la hardiesse vient et nous filons dans le parc dans le noir. Je lui crie de devant la forme que prend la route sous mes roues : virage à droite ou en épingle, bosse. Tout change au dernier moment mais nous sommes des animaux bien aiguisés.

20 mai 2010

L'humeur

Il est sombre, je lui caresse la tête en marchant. Qu'est-ce qui l'encombre si ça l'encombre? Dans la cour de l'école un plus petit court vers nous et goguenard lui lance PISTACHE. Mon fils à peine le regarde et continue son chemin blasé. Je suis mèche courte ce matin, je m'arrête je fixe l'enfant. Droit dans ses yeux deux fois j'articule froidement, EU-STACHE. COMPRIS ? L'enfant intimidé baisse la tête. J'enrage, contre moi contre les autres qu'on ne comprend pas, qui comprennent rien.

12 mai 2010

Le camp

Je fais son sac. Je glisse au fond tout ce que je sais qu'il ne voudra pas, je ne sais pas me résigner : la salopette en ciré jaune et le pantalon en moumoute polaire bleue. Je suis rassurée. Je l'attrape pour lui expliquer la distribution de ses effets : les slips dans la petite poche du haut et là tu vois c'est pratique ... il n 'écoute pas ça se voit, il veut faire de la corde à sauter, non il est tard. Je le regarde ne pas se résigner et balancer la corde doucement dans son dos.

7 avr. 2010

L'étreinte

Je passe en vélo devant une autre garderie, celle où nous voudrions bien mettre notre fille, plus proche de la maison, plus nouvelle. Je ralentis, je veux y aller pour vérifier l'avancée de la liste d'attente. Une femme marche sur le trottoir devant la bâtisse, elle lève la tête vers les fenêtres du premier, elle cherche un visage qui tarde à venir. Elle marche à reculons, semble se résigner mais regarde encore, ah oui il est là, un enfant derrière la vitre, on ne voit que son nez ses yeux son front ses cheveux qui dépassent. On voit aussi qu'il lui sourit. Elle lui fait des petits babayes en revenant sur ses pas, soulagée. Elle lui envoie des baisers je crois mais ça je ne le vois pas, j'accroche mon vélo je dois regarder le cadenas. Quand je lève les yeux, elle a ce geste qui me touche et que je n'aurais jamais pensé faire: elle se sert dans ses bras, ses bras à elle, en le regardant lui là haut à qui elle destine cette étreinte maternelle. Elle reste à se bercer comme cela en le regardant. Elle finit par relâcher ses bras, partir à reculons puis se détourner vraiment. Je pars dans la direction opposée, par solidarité je ne me retourne pas pour la regarder encore.

16 mars 2010

En polaroïd

Je suis loin d'eux, nous faisons du skype. Mon fils est excité, nous parlons nous nous taisons en même temps, des feintes de coquettes. Je regarde le père, je regarde le fils, je rigole pour un rien. Avec son sous-pull en acrylique un peu brillant et son jean ajusté, mon fils a l'air d'une autre époque, venu tout droit de mon enfance.

15 mars 2010

C'est elle, c'est moi

Nous sommes au restaurant, elle est debout sur la banquette à mes côtés. Je suis tendue, peur d'une crise, d'une chute, d'un bris, d'une tâche. Ma grand-mère et ma mère sont en face de nous, absorbées dans le spectacle de la petite. Les crêpes arrivent, ma fille s'assoie, elle aime, je me détend. Et puis nous parlons, je raconte une histoire de nos vacances, la piqure d'un scorpion qu'on sut mortelle à laquelle mon mari réchappa heureusement. Ma fille écoute en mâchant sa crêpe. À la fin de l'histoire, elle la reprend en changeant les personnages et leurs places. Oui c'est elle qui s'est fait piquer, le scorpion était dans son maillot de bain, elle a eu mal, elle a pleuré, elle a appelé sa maman, son papa a tapé sur la bête avec sa chaussure à elle. Elle roule des yeux pour nous convaincre, hoche la tête approuve à nos exclamations d'horreur simulée, oui oui, terrible.

4 févr. 2010

Le travail

J'ai commencé un projet, c'est sur le travail, c'est mon travail.
Dans le titre, que j'ai cherché longtemps, il y a cette idée du travail et aussi la phrase «on est au coton». Je poursuis par là le film de 1970 de Denys Arcand et je file aussi l'expression : «on est au coton» pour «on est à bout». L'envers de «être élevé dans la ouatte». Les deux parlent de matière, celle qu'on accumule, celle qui nous manque, j'aimerais parler de la forme que prend l'écart entre les deux.

31 janv. 2010

Les lunettes

Elle nous regarde. Nous sommes couchés sur le lit, nous essayons d'avoir la paix. Elle approche son visage des notres. Elle aime nous voir les deux en même temps, son regard passe de l'un à l'autre, elle rit comme elle fait, la bouche grande ouverte la tête en arrière. Elle dit «Billie pas de lunettes», elle le prouve en se pinçant le dessous des yeux pour y enlever ce qui n'y est pas. Pas encore.

21 janv. 2010

le titre et le goût

Je prépare quelque chose, quelque chose à quoi je ne trouve pas de titre. Quelque chose que je ne peux pas commencer donc. Je souffle je sautille je m'échauffe devant la porte fermée du projet. En attendant, je suis assise à la table de la cuisine je cherche des titres que je rature. J'aime parfois une minute, la main presque va commencer, couper le ruban et entrer. Mais je retiens mon geste et j'ai raison, la minute d'après je n'aime plus. Mon fils vient jouer à côté de moi avec une fausse DS dollarama, un jeu cheap électronique en forme de cellulaire qui défile un tetris avec des pouits sonores. Il joue à jouer, concentré hypocrite, un regard parfois glissé de derrière son petit jeu de plastique. J'ai des problèmes de titres mais je ne suis pas aveugle. Il se rapproche, je me déconcentre. Bon. Tu me le montres ton jeu?

19 janv. 2010

La une

Le 18 Le Monde n'en fit plus sa une; le 19 c'est le New York Times qui se détourna un peu.
La politique intérieure reprend le dessus. Au Canada, je ne sais pas, je ne lis pas les journaux canadiens. Les oreilles des enfants sont grandes comme ça quand nous en parlons mais ne posent pas de questions, les images par les mots évoquées ne rentrent pas dans leur quotidien.
J'ai eu envie de boire beaucoup et de manger souvent pour compenser toute cette angoisse en béton armé.

6 janv. 2010

Le courant

Installons une lumière vacillante par pièce utile : une dans chaque chambre, une dans la salle de bain... pas la cuisine ? non on sort de table! La cuisine reste dans le noir, éclairée assez par la lumière du dehors que la neige diffuse. Attendons le courant qui ne revient pas, éteignons ce que nous pensons allumé s'il revient et que nous dormons. Et comme nous nous abrillons en conspirateurs dans cette calme cabane, tout à coup tout est de nouveau déjà là. Nos yeux surpris, et le frigo et l'imprimante et l'ordinateur et le radio réveil reprennent leurs droits, tout cliquetant d'indignation.

La panne

Après coup j'ai oublié ce que j'étais en train de faire. Quel geste la noirceur avait arrêté. C'est moi qui ai sorti les bougies je suis assise en face du tiroir où nous les rangeons, ma main n'a pas eu beaucoup de chemin à faire. J'ai aussi trouvé le briquet, je suis la seule qui fume, encore un peu encore assez pour me souvenir la main dessus - déjà - voici le briquet. Une à une j'ai allumé les bougies et les visages des enfants à hauteur de mes coudes le regard fixe. À la troisième il a compris que la quatrième n'y changerai plus grand chose. J'ai continué et je me suis souvenue de Goethe qui dans son théâtre réclamait « de la lumière, plus de lumière » quand plutôt l'ombre lui manquait.

12 déc. 2009

La parure

Je suis assise sur le tapis de leur chambre, elle est derrière moi elle passe un fil de scoubidou autour de mon cou, elle tire un peu hey! attentionheuuu je dis. Son poids dans mon dos elle se penche les cheveux sur ma joue, que tu es belle elle dit. Elle ne m'étrangle pas, elle me pare.

10 déc. 2009

Sa résistance

Il change de forme inlassablement renard, écureuil, chevalier, poulain, indien, dauphin. Nous le reconnaissons au milieu de cette foule : une même joie l'anime, il brille. Une nuit je l'entends rire un peu dans son sommeil. J'ai parfois la tentation mauvaise d'éprouver cette joie, d'en connaître les limites, voir ce qu'elle nous laisserait de notre fils une fois dissipée.

3 déc. 2009

Trop serrées

Elle pose une question elle la pose jusqu'à ce qu'un geste ait répondu. L'abstraction du langage, ses promesses et ses impuissances ne l'intéressent pas. Elle répète inlassablement de là où elle est, ce qu'elle voit, ce qu'elle veut, ce qui la blesse, ce qui lui manque. Je me fatigue à essayer de boucher ce flot par d'autres mots que sa transe intègre sans les entendre. Je crie parfois, je jette des objets sur le sol pour trouver dans la stupeur un peu de silence.
Elle est une enfant irréductible irréductiblement. Elle ne nous facilite pas la tâche, elle n'est pas là pour ça. Ses yeux me sont opaques et derrière ses colères il n'y a rien de ce que j'imagine. Toi tu nous vois, toi tu me prends les épaules avec douceur, toi tu me dis pousse toi.

19 nov. 2009

Le bon vent

Il est question de ce que l'on écrit, de la forme que cela prend, de la correspondance qu'il doit y avoir entre les deux. Le dire avec sa propre voix. Avec les mots chercher une forme qui ne s'invente que pour dire cela. C'est tout. On le sait quand on y arrive, on le sait très bien, va.

8 nov. 2009

Crash

Au magasin, je tiens ma fille, je la retiens, la rattrape la redresse, une catastrophe toujours imminente. Nous passons à la caisse, rien ne s'est encore passé. Je vide le panier sur le tapis, des yeux j'immobilise la petite. Soudain un cri derrière moi, je me retourne : un grand sac de gruau sec s'est éventré, benne impatiente et lasse, des mains de la caissière. Une pyramide parfaite de flocons farineux transforme la caisse en objet bête et incapable. Je dis «on devrait prendre une photo» sans écho. L'employée fusille le client à la passion déraisonnable. Il aura mal fermé le sac, « non non» fait-il d'une petite voix; elle dramatise, la caisse est foutue c'est certain et encore, immobile, il faut agir vite. Je finis de payer, je devrais partir, je reste fascinée. Je range mes courses lentement, je rattache mes lacets et époussette ma fille qui ne ferme plus la bouche. Nous partons à reculons, quittant à regret l'événement et son suspens.

3 nov. 2009

L'apprentissage

Je lui raconte l'école de mon fils et les nouvelles douleurs qui vont avec. L'apprentissage, le sien le nôtre. Je sens toute mon angoisse dans mon récit que je voudrais plus léger. Je raconte ces petites choses dures anodines qui nous arrivent, qui disparaîtront derrière nous. Nous sommes amies et mères toutes les deux, de les dire nos yeux s'embuent.