Il me semble que c’est un jeu de patience, de patience et de dénuement.
Des morceaux d’os blanchis qu’on fait sauter dans ses mains en attendant le lendemain.

31 août 2009

Le deuxième soir

Je vais le chercher avec sa soeur. Nous arrivons devant la cour, je pousse le portail le coeur battant. Elle le voit en premier, elle crie son prénom, elle s'élance vers lui. Il joue avec deux filles au pied d'un arbre près de la clôture. Deux jeunes femmes à oreillette me regardent, l'une dit quelque chose dans le micro devant sa bouche. Je fais un coucou incertain. Il nous voit de loin, sourire contrit, «encore cinq minutes», il souligne de sa main ouverte. Je fais oui oui bien sûr et rattrape sa sœur par le paletot. Nous nous éloignons. Debout dans la cour au soleil, je fais le point : une grande cour goudronnée, quelques arbres maigrichons le long de la clôture, un vieux panier de basket en plastique accroché trop haut et trois cônes oranges les mêmes que pour les travaux. Il arrive à côté de moi, nous regardons sa soeur qui court au milieu; il dit avec son air plissé critique mais résigné «ouais y a que ça ». Nous nous regardons et finalement ça nous fait sourire ce dénuement.

29 août 2009

La rentrée des classes

Nous marchons vite en nous serrant la main, la sienne chaude et charnue, mon petit. Je me suis mise chic mais tout ce noir m'engonce et me trahit. Il couraille pour me suivre joyeux encore, un grand sac à rebonds dans le dos, c'est moi qui porte sa boîte à lunch. Nous traversons le parc en face de l'école, les arbres nous rafraîchissent. Derrière eux par intermittence, la cour nous arrive agitée de grands, de petits, de sacs, de chaussures, de vêtements qu'on étrenne. Nous sommes sur le trottoir à quelque pas, il ralentit et tire sur ma main. Je me retourne, il regarde derrière mon épaule, dans mes yeux et à ses pieds « viens, c'est pas la peine, on rentre». Je tire un peu, il résiste. Penchée à sa hauteur et dans les yeux, je chasse le vertige avec autorité. Il prend sur lui, nous poussons le portail. Nous avançons serrés par la foule, il y a des pancartes accrochées au mur, je cherche son nom. Je le trouve inscrit au groupe des coccinelles, écrit en lettres attachées, penchées pour faire plus gai. Il prend la mesure des choses, je feins de les trouver normales et bonnes.

26 août 2009

La veille

Nous regardons la liste des fournitures : 4 tubes de colle PRITT, deux boîtes de 16 feutres pointe large CRAYOLA, une gomme à effacer, une paire de ciseaux bout rond, deux boîtes de 8 feutres pointe fine CRAYOLA, un cartable à trois anneaux large de 1 pouce, trois crayons à mine HB, une blouse à manches longues. La vendeuse qui s'y connaît nous enjoint de respecter les marques : la colle PRITT par exemple, deux fois plus chère que la HITCHE qui nous tente et que je tiens dans ma main, présente un taux d'humidité avantageux parfaitement adapté aux collages scolaires. Nous ne voulons pas plomber les futurs travaux de notre enfant et l'imparable technicité de l'argument l'emporte. Nous tiquons encore sur les quantités. Quatre tubes de colle? Fais moi voir. Ah oui quatre tubes de colle. Incapables de nous résoudre à cet achat en gros, nous optons pour la poire en deux sur la colle et les boîtes de feutres pointe large. Le soir en remplissant le sac, je fais l'inventaire avec mon fils. Il me demande « est-ce que je devrais dire à la maîtresse que j'ai que deux tubes de colle parce que mon papa et ma maman trouvaient ça pas drôle d'acheter toute cette colle d'un coup ? ». Ohlalala non, surtout pas.

25 août 2009

L'autobus scolaire

L'épicerie du coin est en travaux, fermée pour une semaine. Un autobus scolaire a été affrété pour transporter les clients loyaux faire leurs courses à l'autre succursale plus loin sur l'avenue. Nous ricanons en passant de ce service, drôle de supplique, évitant de justesse la poigne mercantile du chauffeur qui veut nous y faire monter. Nous imaginons embarquer finalement dans l'intrigue et chanter très fort : chauffeur si t'es champion, appuieeuuuu appuieeuuuu, chauffeur si t'es champion appuie sur le champignon.

24 août 2009

L'intelligence

La route a été longue, encore plus maintenant que nous sommes perdus. Il faudrait demander notre chemin, surmonter cette timidité d'étrangers. Dans l'attente respective du courage de l'autre, nous scrutons indécis les alentours «peut-être par là ?». Il le fait en premier. Je le vois au coin de la rue, les mains aux hanches l'air concentré sur les gestes vagues d'un homme impressionnant. Il revient, remonte dans l'auto et indique une direction que nous suivons un temps avant de la perdre et nous avec, de nouveau. C'est mon tour, je descend, j'approche une femme et une poussette et une fillette de 5 ans qui marche devant. J'appelle «madam!», elle se retourne, la petite fille derrière elle toute allumée de curiosité. Je demande mon chemin, elle se frotte la tête. Elle a peut-être quarante ans, l'air habile de celle qui navigue au milieu de tout cela. Elle regarde dans toutes les directions. L'enfant sautille le regard qui glisse sur moi indifférent, sa mère lui fait signe de se taire, elle se concentre. Je la regarde, je ne la connais pas, elle m'inspire confiance. Je l'ai arrêtée juste avant qu'elle n'arrive au dépanneur du coin, peut-être acheter du lait ou de la bière et un ticket de loto. Finalement, elle m'explique le parcours, le plus direct. Elle est très précise, vérifie à chaque étape que je la suis et récapitule à la fin. Je la quitte à reculons, elle lève deux pouces victorieux vers le ciel béni d'Amérique.

19 août 2009

Le culturiste

Nous le regardons arriver de la droite longtemps avant qu'il ne passe devant nous et ne disparaisse sous l'horizon à gauche. Il marche vite à pas serrés dans le sable souple. Les bras sont tendus étirés chacun par un haltère suspendu à leur main. Les muscles des épaules contractés forment ce trapèze étalon des salles de gym. L'homme est vieux, il a le souci de son corps qui lui aimerait bien vieillir, s'affaisser sous la contrainte. Des années de travail pour figurer, gestes huilés, une force à vide, une forme qui ne se fait plus. Ce soir sur la plage, nous le voyons résister encore un peu.