Il me semble que c’est un jeu de patience, de patience et de dénuement.
Des morceaux d’os blanchis qu’on fait sauter dans ses mains en attendant le lendemain.

26 mai 2009

Le commerce

Une dame appelle, elle veut acheter la chose, elle négocie le prix que mon mari baisse. Il raccroche, il dit « elle marchande», je dis «bon». Je vais chercher la chose dans la remise. Je décide de la brosser, mais comme je n'ai pas de brosse, je la mouille avec un linge. Mon mari arrive «mais qu'est ce que tu fais ?». Nous regardons la chose toute détrempée. Je cligne un œil et penche la tête pour voir si ça se voit. Ça se voit. Je répare le dégât au sèche-cheveux, la chose est sèche mais auréolée et pas vraiment plus propre. La dame pas très aimable rappelle, attention elle arrive dans 30 minutes. Nous regardons un film, la transaction que nous devons régler se mets devant l'écran. Finalement, la dame qui veut sa chose sonne, il descend, je me cale dans le canapé sans rien regarder, j'écoute les voix lointaines sur le trottoir. Il remonte avec un billet. La dame pas très correcte a fait encore baisser le prix. Il a cédé non sans lui signaler son manque de classe. J'approuve, nous soupirons soulagés, nous n'avons pas le sens des affaires.

20 mai 2009

Les paramètres

Je n'ai pas réussi un travail. C'est embêtant «mais bon». Je tourne en boucle le souci de cet échec, incertain bonnet d'âne. En boucle inverse, je me somme de relativiser, prendre du recul, allez allez. Je récupère les enfants. Ils me parlent, racontent, sautent, réclament, proposent, attendent. Je reste sourde au monde, embarrassée de cette question girouette qui refuse de se fixer : à partir de quoi, quand, où, comment, c'est vraiment grave ?

19 mai 2009

Le massage

Il a du mal à se concentrer, il gigote sur la table de massage. J'évite de le regarder, j'ai peur de rire. Je suis nerveuse je surveille l'ostéopathe assis derrière lui. Il lui masse le crâne, deux mains fermes, bras tendus, la tête un peu penchée, les yeux fermés. Il se lève et dit à mon fils de s'assoir. Ravi de la distraction, chatouilleux comme pas deux l'enfant se contorsionne sous les manipulations. L'ostéopathe le plie, le place, se couche un peu sur lui, le tourne, le serre contre lui . Mon fils tout rouge, rigole et entre deux hoquets «ah ah tu m'étrangles ».

9 mai 2009

Séquence américaine



Une femme est assise sur le bord d'un trottoir devant un stationnement vide. Il fait assez chaud pour manger dehors, ce qu'elle fait, un plat pour emporter ouvert sur les genoux. Elle mange avec ses doigts quelque chose de la couleur indéfinissable de ses cheveux, orange brûlé longtemps réchauffé. Elle porte à sa bouche cette nourriture qui ne mérite pas la grâce de son geste et que la lumière de fin d'après midi ne sauve pas. On retrouve plus tard le plat abandonné à moitié consommé. Elle a du s'essuyer les mains, des serviettes en papier chiffonnées sur le sol. Elle se lisse les cheveux en fumant, elle aspire la fumée et ça lui creuse les joues. Elle écrase sa cigarette sur le béton de la marche et d'une pichenette adroite et nonchalante elle envoie plus loin son mégot.
La photographie est de Paul Graham (Woman eating, New Orleans, 2004).

7 mai 2009

Le cap

Elle a dormi toute la nuit. Petite boule ramassée, son lit tempête dans la cuisine. Nous l'observons ce matin, détaillons les effets du miracle. Droite dans son ciré, sérieuse sous son chapeau de pluie, elle se poste devant la porte, elle est prête. Ô capitaine, capitaine, le calme est-il revenu?

3 mai 2009

Se voir

Nous marchons sur la rue dans le soleil. Les enfants, nous ne les avons pas jusqu'au lendemain. Il jette un regard à son reflet dans une vitrine. Il ralentit, il n'en revient pas de ses cheveux blancs, il les touche pour vérifier. Je ris et je confirme. Nous continuons les mains dans les poches, c'est comme ça.