Il me semble que c’est un jeu de patience, de patience et de dénuement.
Des morceaux d’os blanchis qu’on fait sauter dans ses mains en attendant le lendemain.

27 févr. 2009

Une histoire. La vengeance

Ils attendent sous sa fenêtre que la lumière s'éteigne. Le cendrier déborde de cette attente. Il ouvre la fenêtre pour aérer et monte le chauffage pour compenser. Le froid gagne vite, elle lui dit, il remonte la vitre avec la manivelle. Il craint que l'ambiance n'ait viré. La lumière s'éteint, assombrissant tout à coup la façade.
- Ah quand même ... On y va ? Elle se tourne vers lui, il lui trouve un sourire féroce.
Il hésite, habitué à ses soucis il les supporte, il n'en veut pas de nouveaux, imprévisibles, inconfortables. Il se méfie de l'action. Elle a déjà ouvert sa porte et dit « on y va», c'est sans appel. Tout à l'heure, au chaud, la bière l'avait porté, ivre et joyeux de tant d'évidences scandalisées. Il faut se défendre,oui, mais pas seulement, non, rendre coup pour coup, oui , et pas tant pour lui, non, que pour son film aussi. Maintenant, engourdi et nauséeux - toutes ces cigarettes lui qui n'en avait pas fumées depuis trois ans - il ne souhaite plus qu'un peu d'eau tiède pour rincer ses mains lasses. S'adoucir.

Les mains

L'avenir est déjà là dans le souci qu'il nous donne. Le présent nous harasse des mille et un gestes à accomplir. Prolifére sans relâche ce qu'il nous incombe de faire : luxuriante responsabilité qui se nourrit de nos corps et de leur fatigue. Ce matin, assis sur notre lit, nous nous tenons les mains et ce contact écarte tout, une minute soudain très souple et très spacieuse. Les enfants attendent sur le seuil de la chambre, rendus timides par cette rupture de rythme. Notre fils retient un peu ses histoires de chevaliers qui pressent derrière son front, en retrait sa sœur, petite boule d'or et nez qui coule n'ose pas bouger. La chambre est claire et je reprend espoir.

22 févr. 2009

Une histoire. La projection

Il est bientôt 20h30, la projection va commencer. La salle est presque vide : les deux personnes qui l’ont invité, quelques étudiants venus l’écouter et trois autres personnes qu'il ne reconnaît pas. Son corps planté au pied de l'écran se démesure sous leur regard, il baisse les yeux et ne saura plus les relever. Il glisse en crabe vers le piano pour s'appuyer. La jeune femme qui doit le présenter a disparu, il imagine le pire. La porte s’ouvre, elle descend les marches. Il grince la tête vers elle qui se demande s'il va tomber.
Elle s'approche « on commence ?». Il réussit à écarter un peu les bras, une pointe d'exaspération, ah mais je ne sais pas moi. Elle regarde vers la porte pour vérifier que personne n’arrive. Comme personne n’arrive, elle chuchote, une pointe de reproche, «Tant pis, on commence».

18 févr. 2009

Les moyens du bord

Il mange un sandwich dans son auto, une grande bouteille de limonade débouchée coincée entre ses genoux. Les enfants descendent la rue en courant sous la neige qui tombe. Ils descendent pour rire, pour la vitesse, ils remonteront en tirant la langue. Je les suis et le regarde en passant. Il fait tourner son moteur pour manger au chaud. Il regarde droit devant lui, il marque sa solitude. Arrivés en bas, nous remontons la rue, sa voiture est toujours là qui fume dans le noir. Je suis garée devant lui, je fais monter les enfants et hésite à lui dire qu'on ne peut pas laisser son moteur tourner dans le vide. Et puis je le vois, il prend une goulée de limonade, il s'essuie la bouche au revers de sa manche. Je ne dis rien, je m'installe au volant, un regard au rétroviseur.

16 févr. 2009

Une pause

Je marche et je réfléchis, comme on continue dehors ce qu'on faisait dedans. Je n'ai pas de sac, ni mitaines, ni foulard non plus. Le soleil est fort, l'air vif, mon front se détend. Le béton des trottoirs est dénudé, sur le côté l'herbe jaune, rase et tassée d'avoir porté tant de neige. La structure pour enfants redessine lentement ses fonctions et quitte un peu cet air de base abandonnée. La lumière me pousse, je suis dehors un peu plus que d'habitude. Je décide de ne plus m'en faire.

11 févr. 2009

La souris

Elle croit parfois qu'il la poursuit. Elle court et rit alors, la bouche ouverte, cambrée pour éviter sa main qui la rattrape. Seulement lui s'est détourné, un autre jeu, une autre histoire. Elle jette un œil par dessus son épaule, le voit qui ne la suit plus. Elle s'arrête, elle n'est pas déçue. Elle le regarde et rit encore un peu, le souffle court.

9 févr. 2009

Le cocard

J'ai commencé la première, la tête en bas appuyée sur mes avant-bras, les jambes en l'air et la fille derrière moi pour ne pas tomber. Je suis redescendue très vite, ma partenaire a dit «c'est tout?». Elle s'est mise en position, la tête en bas entre ses bras à mes pieds, mes genoux dans son dos. Une position qu'on dit inversée, il faut imaginer. Elle devait monter une jambe après l'autre, doucement, moi les retenir une fois en l'air. Ça ne s'est pas passé comme ça. Elle a envoyé sa jambe droite si vite que je ne l'ai pas évitée. J'imagine que j'ai ressenti ce qu'un boxeur subit quand l'uppercut arrive qui l'envoie au tapis. Personne n'a compté jusqu'à dix pendant que je regardais le plafond en pleurant très fort. Ce soir le boxeur c'est moi.






8 févr. 2009

Le pincement

Il est assis sur le bord du bassin avec sa meilleure amie. Ils sont faits un peu pareil, des grands yeux, le corps en vallons gracieux. Elle joue avec ses lunettes, il regarde un peu dans le vague, les jambes ballantes. Soudain, ça me pince le cœur, j'ai peur qu'il soit malheureux. Je le scrute en écoutant distraitement mon amie. J'essaie de lire sur son grand visage. Le moniteur de natation arrive, les deux enfants sautent sur leurs pieds, entourant - tendus vers lui - le grand monsieur au casque de bain. Mon fils est tout joyeux, disparue la solitude que je croyais y lire. Je le regarde s'éloigner en essayant de me convaincre.

3 févr. 2009

Le jeu


Elle a cet air sérieux des enfants qui jouent fort. Elle range ses poupons à côté de moi, leur pose un gilet en guise de couverture. Le gilet est de travers, pas le même confort pour tout le monde : ce bébé bien abrillé, celui-là à peine couvert. Je comprend que ça n'est pas ça qui compte. Il faut être convaincue, faire les gestes avec le ton, le sourcil accentué ou la tête penchée. Quand elle a finit, elle dit en écartant les mains un mot en éééé et défait son installation. Elle recommence, à la fin du cycle je me redresse, attrape au vol sa déclaration, elle dit je crois «terminééééé».

2 févr. 2009

Ne pas travailler



bien prendre son temps, s'appliquer à colorier

La sieste

J'ai déjà bu deux grands thés, je finis un café. Je lis mais toutes les deux lignes je dois reculer dans le texte et essayer encore. Je vais me coucher, 15 minutes pas plus. Je lève la tête et cligne un oeil pour lire le radio réveil. Les 15 minutes sont loin, sans faire le décompte. J'entends mon mari chanter, vivant, actif. Je suis coincée dans mon lit, je ne pourrai jamais en sortir, je ne sais pas faire la sieste.