Il me semble que c’est un jeu de patience, de patience et de dénuement.
Des morceaux d’os blanchis qu’on fait sauter dans ses mains en attendant le lendemain.

31 janv. 2009

L'attente

Je suis prête, elle dort. J'ai enfilé mes bottes, j'attends sur le canapé. Il fait très beau, tout est silencieux. Elle dort, nous allons être en retard. Je vérifie notre sac et ses affaires. Je pourrais me reposer, me coucher sur le tapis de leur chambre, à côté d'elle dans son sommeil et nous ne serions pas plus en retard. Mais ce serait trop ouvertement s'en moquer du temps qui passe, alors je reste tendue entre deux gestes.

28 janv. 2009

L'embouteillage

Nous sommes assis dans notre bonne vieille tercel et il neige encore. Je suis au carrefour à la sortie de la garderie. À droite, la rue Sherbrooke a l'air jammé mais je m'y engage, poussée par un espoir qui ne veut pas réfléchir. Nous sommes bloqués tout de suite. Je jette un œil aux enfants, je mets de la musique, une chanson triste que mon fils aime avec les paroles en poésie. À la troisième écoute, je change de disque, fatiguée de crier dans le rétroviseur des explications de texte mangées par la soufflerie.

22 janv. 2009

La reprise

Je branche la bouilloire et j'ouvre mon ordinateur sur la table de la cuisine. Je m'assois dos à la fenêtre, je pense aux nuits de décembre que j'y ai passées. Les fenêtres ont changé depuis, neuves et hermétiques je ne sens plus le froid mais si transparentes que la nuit derrière moi m'intimide. Une amie m'a offert un pull très chaud, je le porte pour travailler. Je ne vais pas sur facebook, j'ouvre un document word. J'ai apporté une pile de livres et j'hésite. Mon fils arrive pour me redire bonne nuit, «ah tu recommences à travailler ?». Je réponds oui, lui caresse la tête et le pousse vers le couloir.

18 janv. 2009

Le couvert

Ils ont faim, ils le disent. Ils tournent dans la cuisine en quête de rapine. Nous ordonnons le mécontentement avec l'autorité de ceux qui ont le pain, «mettez le couvert si vous avez faim». Mon fils grommelle et installe les assiettes des grands, la petite se met dans ses jambes pour faire avancer sa cause. Elle organise son camp : elle sort une assiette en plastique, qu'elle va poser devant sa chaise, puis une autre, encore une. Finalement cinq assiettes bien serrées, empilées à demi s'entassent à sa place. Debout à côté de ce parc, elle attend nerveuse que le miracle opère.

16 janv. 2009

Le froid

Je gratte le pare brise d'une main, je conduis de l'autre. Je suis recouverte de copeaux de glace et dois baisser la tête au ras du volant pour y voir quelque chose. Les enfants à l'arrière sont bien emballés chacun dans une couleur, bleu et rouge. Leurs yeux que la lumière aveugle papillotent dans la buée de nos souffles. Ils ne parlent plus. La radio en anglais occupe l'espace mais mon apprentissage matinal est déconcentré par les éléments. Tout s'évapore, même les arbres, sur le ciel terriblement bleu, j'entends qu'on parle de Gaza.

15 janv. 2009

Feng shui

À Hong Kong, certains occidentaux nonchalants ont construit des bâtiments sans respecter les prescriptions du feng shui. Ces immeubles sont boudés par les chinois et finalement par les occidentaux eux-mêmes qui ne réussissent pas à y attirer les services : cireurs de chaussure, femmes de ménage, livreurs de pizza, laveurs de carreaux, j'imagine. Les bâtiments restent inhabités. La sinologue passionnée dont je suis le cours nous met en garde contre des impairs irréparables que nous pourrions commettre à notre insu. Au restaurant par exemple, le choix d'une mauvaise place peut condamner sans appel une relation naissante. Je me demande si le verdict tombe avant ou après le repas.

11 janv. 2009

Nos billes

La réponse est arrivée par la poste avant Noël. Il l'ouvre et lit avec ses lèvres qui remuent. Il dit «ah... on est pris mais sur la liste d'attente». Je prend la lettre et lis à mon tour. Nous nous regardons, coincés par l'ambiguïté de la réponse «oui mais non». Nous ne réfléchissons pas mais laissons le temps à la réponse de délivrer son vrai message. Plus tard nous comprenons que c'est un refus qui ne dit pas son nom, que nous ne sommes pas pris, que notre fils n'ira pas dans cette école. C'est tout ajoutons-nous en essayant de passer à autre chose et de reprendre nos billes.

10 janv. 2009

L'insomnie



J'entre dans leur chambre, elle est debout dans le noir, la suce dans la bouche. C'est mauvais signe. Je la prend, la câline et hop la recouche. Elle se relève aussi vite que possible et s'accroche aux barreaux du lit. Elle tête et me regarde. J'ai froid, j'ai faim, il est presque cinq heures du matin et j'hésite. Elle tend des bras vers moi pour me convaincre, perd l'équilibre et tombe sur les fesses. Vite vite se relève l'œil vissé aux miens. Quel drôle de manège. Elle comprend que c'est gagné, elle souris avec un son, la fossette de travers. Je la prend dans mes bras et renifle son odeur aigrelette. Nous fermons la porte de la cuisine, je mets le chauffage à fond et le lait à chauffer. Il fait nuit dehors, elle danse de joie en se regardant dans la vitre du four.

Le savon


Nous arrivons tard à la garderie, la collation est déjà prête. Mon fils doit se laver les mains, il accroche au passage la bouteille de savon liquide vert qui tombe, s'ouvre et se répand. Je regarde le dégât et évalue mon retard. Je commence à essuyer le savon, mon manteau me gêne, je mouille mes poignets en rinçant le savon qui mousse sans fin. Je me dis que l'expression « jeter l'éponge » a été inventée un matin comme ça. Les enfants du groupe s'agglutinent et font pouah et beuuurk. Je fais bonne figure. Au moment de partir, l'éducatrice me demande si elle peut vérifier la tête de mon fils, ce matin un pou a été repéré sur la tête d'une amie. En pareil cas, la politique est de renvoyer l'enfant chez lui, alors comme je suis là, ça m'évitera de revenir. Je dis mais bien sûr et je m'assois. Je la regarde épouiller mon fils qui me regarde gentiment. À la fin, il n'a rien, il me fait un câlin discret mais serré. Je pars et me retourne : j'aimerais l'emmener avec moi.

8 janv. 2009

Le terrain (suite)


J'ai appris aujourd'hui que la Chine partage des frontières avec 14 pays, que c'est un pays très contrasté, que ses villes très polluées, qu'il n'y a pas d'huile d'olive
et huang rivière et he jaune.
C'est un début

4 janv. 2009

Les pieds

Il me dit qu'il faut commencer par les pieds, parce que c'est le plus difficile à dessiner et que du coup souvent on s'arrange pour qu'ils sortent du cadre ; on dit, l'air de rien, quand les pieds n'y sont pas, que c'est cadré comme ça, un peu plus haut c'est tout.
Seulement le dessin, il flotte. Et puis c'est paresseux et ça n'est pas malin de tirer au flanc quand on veut apprendre (ça c'est moi qui le dit et je m'y connais). Comme il se passionne, il me donne en exercice de regarder comment font les autres dans les bandes dessinées. Et bien en y regardant de près, c'est étonnant mais, et pour parler vulgairement, je dirai qu'il y en a beaucoup qui ne se font pas trop chier.

2 janv. 2009

Les lionceaux



Les lionceaux font de grands bonds qui sont comme des sauts, appelons-les des lionbonds
pour changer.

Glisser encore


Notre luge est trop étroite, elle se renverse toujours dans les descentes. Chez le dépanneur nous en achetons une plus large, avec un gros autocollant d'une marque de chips. Elle a deux freins qui rassurent sur les côtés. Fiers de notre acquisition, nous attendons le lendemain.
Nous y sommes, il fait très froid et nos vêtements font frout frout. La première descente nous la glissons avec circonspection du bout des fesses, les freins dans les mains. Rassurés sur la stabilité de notre embarcation nous glissons ensuite franchement et en criant. Avant la fin du jour, je tire mon fils, rouge et fatigué, assis silencieux dans sa voiture de course.

Glisser

Nous portons des patins neufs. Les miens sont très rembourrés et ne me font pas le pied léger. Mon fils pousse devant lui un cône en plastique. Il veut aller vite mais il ne sait pas, il rechigne à l'apprentissage. Il fait le tout mou, je ronge mon frein, je patine devant. Je reviens, il est couché sur la neige, il marmonne. Je dis « Quoi ?», il répète sans me regarder « mmalmmnmtiner »; « Quoi? » je répète avec trop d'autorité. Lui finalement les yeux dans les miens : « ÇA M'EST ÉGAL DE SAVOIR PATINER ». L'air est glacé tout autour de nous et personne ne vient à notre secours.

1 janv. 2009