Il me semble que c’est un jeu de patience, de patience et de dénuement.
Des morceaux d’os blanchis qu’on fait sauter dans ses mains en attendant le lendemain.

29 oct. 2008

L'intervention

Je m'applique à bien répondre, j'ai travaillé alors je peux parler. Sans doute ma réponse est trop longue ou plutôt oui incompréhensible. Il ne faut pas se dire cela. Trop tard je me le dis. Je n'arrête pas, je me vois continuer. Les mots sortent vrillés et je n'atterris pas. Enfin, ça arrive, il y a un embarras, un silence et un embarras. Le professeur reprend son monologue sans me serrer la main ni me taper dans le dos. Je regarde bien devant moi, ne pas me vexer trop. De son discours, le professeur regrette un peu, il se tourne vers moi « et en effet comme vous venez de le mentionner». Alors bien sûr après c'est pire.

26 oct. 2008

Un concert à Montréal

Il y a beaucoup de personnes sur scène, en fait beaucoup de femmes. Assises, elles attendent leur tour, elles jouent un peu, prennent des poses mais leur réalité résiste, irréductiblement non mise en scène. Et puis elles s'animent, tapent dans leurs mains, tapent du pied, chantent très fort. Certaines chanteront seules. Et la guitare et la batterie et l'homme qui chante aussi scandent leur présence. Si fort et tous ensemble. Le concert s'arrête très vite et nous tardons à partir. Nous croisons les chanteuses dans leur manteau, le maquillage cru sous la lumière du hall.

24 oct. 2008

Les travaux

Des hommes casqués s'installent au milieu des routes, déforment le chemin des voitures comme les gros cailloux le ruisseau. Perchés au-bord d'un trou qu'ils viennent de commander, ils réfléchissent au meilleur moyen de le reboucher. Les autres qui ne se penchent pas, sont ceux qui l'ont creusés, ils fument en attendant. En passant tout près d'eux, je remarque l'extrême vulnérabilité de leur position - leurs corps dans le dehors au milieu des autos - et la dérisoire protection du «port du casque obligatoire».

22 oct. 2008

L'aéroport

À l'aéroport, je vois passer une longue colonne de chariots enfilés les uns dans les autres. Une vingtaine d'hommes la fait rouler, poussant et tirant en marchant. Ils portent des dossards à réflecteurs et je vois dans la lumière de mes phares l'inscription Opsis qu'ils affichent. Les hommes, jeunes, noirs ou asiatiques, bien couverts sous leurs dossards gardent le visage grave. Et ça se voit aux gestes tirés qu'ils peinent à le faire. Faire avancer cette colonne vide mais lourde aussi des voyages qui ne seront pas les leurs.

19 oct. 2008

L'école

Nous remplissons un formulaire. Le stylo dans la bouche, les yeux au plafond, nous hésitons à écrire le fond de notre pensée. L'inscription c'est pour notre fils, à l'école l'année prochaine. Les questions nous posent problème, nous râlons, «ses forces, ses faiblesses», ah non ça ne passe pas. Notre fils est singulier, ne le livrons pas en pièces détachées.
Nous voulons le mieux, nous nous demandons ce qu'est le mieux. Le formulaire se remplit lentement par les marges. Notre écriture s'applique sous la lampe de la cuisine. Il est tard, notre fils a quatre ans, le temps pour l'école de s'installer à table.

17 oct. 2008

Le rêve

Il me dit qu'il a rêvé et il me raconte tout seul.
- « J'ai rêvé que je t'écrabouillais le cou; ton cou était tout mou mais ta tête était dure. Je sais que c'était un rêve parce que je me voyais. Ça ne t'a pas fait mal?»
- « non non »
- « pardon hein »
- « ben non, c'est correct mon chéri... et je me laissais faire ? »
« oui ...non... mais tu sais dans les rêves on n'entend pas les cris, on voit juste les images »

15 oct. 2008

Le pont

J'emmène mon fils à une fête d'anniversaire. Un enfant sur la rive sud vient d'avoir 4 ans et nous traversons le fleuve pour les lui souhaiter. La route est neuve, le pont nous ne l'empruntons jamais. Il est très beau ce pont, on voit l'eau à travers son plancher. Il partage en deux son chemin, à droite la route des voitures, à gauche une voie ferrée. Nous dépassons des wagons du CN, du blé, des marchandises. Nous les dépassons mais je ne regarde pas trop, je tiens mes parallèles. Dans l'auto, il y a ce silence que j'aime bien avec mon fils, celui des moments bien installés.

12 oct. 2008

Le terrain humain

Je lis, je suis des pistes. Des pistes un terrain, un terrain humain peuplé comme en rêve d'êtres décousus, mi-soldats mi-chercheurs, je m'y vois et parfois plus. Ma famille m'entoure et me regarde, mon mari mon fils ma fille ma mère. Je change de forme sous leurs yeux, j'aime leur revenir de loin.

5 oct. 2008

Le télé-siège

Nous balançons nos jambes dans l'air frais de la montagne, ma mère mon fils ma fille et moi.
C'est moi qui ai eu l'idée, c'est moi qui regrette maintenant en imaginant ma fille me glisser des doigts. Finalement je me détends, pas longtemps nous voici proches de l'arrivée avec l'exigence des gestes précis : lever la barre, glisser ses fesses sur le bord, les pieds qui cherchent le sol, toucher le sol, se mettre debout. Le siège balance un peu derrière et surtout s'en balance qu'on n'y soit plus. Vite s'ôter de son chemin.