Il me semble que c’est un jeu de patience, de patience et de dénuement.
Des morceaux d’os blanchis qu’on fait sauter dans ses mains en attendant le lendemain.

31 août 2008

Arythmie

Je gesticule loin devant lui. La petite pleure à mes côtés, fatiguée, il faut rentrer. Je le lui crie plusieurs fois. Il est sur sa trottinette et s'entraîne à freiner. C'est difficile. C'est très long.
Il faut garder le talon en l'air au-dessus de la manette et l'appuyer seulement en cas de nécessité. Sur terrain plat, nous y sommes, on peut se passer complètement de cet accessoire. Mais il s'entraîne. Sa coordination toute neuve manque de rodage. Immanquablement le talon appuie sur le frein avant même qu'il ait démarré. Il ne s'impatiente pas, il essaie à nouveau, replace son pied, tente un démarrage et freine à l'arrêt. C'est très long. Je fulmine et me tire les cheveux. Je combine d'impressionnantes accélérations destinées à l'aspirer dans mon sillon à de brusques retours en arrière menaçants. Je tente une dernière formule pédagogique. Mon manège ne le déconcentre pas. Me reste l'incrédulité. Finalement fatigué par son entraînement, il entreprend de tirer maladroitement sa trottinette d'une main, l'autre bras replié derrière son dos. Je suis loin devant et me demande ce que c'est encore que ce trafic. Je lui enjoins de prendre ses deux mains, «je ne peux pas mon bras est occupé». Il arrive, tout rouge en sueur et me tend le pissenlit qu'il a cueilli.

27 août 2008

L'esclave

Alors on joue à Violette et Roch.
Dis : «Roch comme tu cours vite !». «Roch comme tu cours vite».
Plus vite que le robot, hein? Oh regarde Violette ce que j'ai trouvé.
Ah oui. Mais tu joues ? Oui oui. Alors viens. J'arrive.
Robert Filliou, L'esclave

La fanfare

La nuit elle se réveille. Je marche à tâtons jusqu'à leur chambre. Elle pleure très fort et si soudainement. Elle est debout accrochée aux barreaux de son lit. Il arrive que dans le noir mon amour se perde, le scandale me frappe. Je chuchote alors très fort des injonctions au silence pour couvrir ses pleurs. C'est inutile et ça empire, mais parfois les bras m'en tombent.

26 août 2008

La rentrée

Nous arrivons, mon fils sautille, certain de retrouver enfin son ours perdu. Nous le pensons caché sous un banc, mais tout est bien rangé pour la rentrée, rien ne traîne et la peluche reste introuvable. J'arrête de chercher, il prend sur lui mais ça se voit quand même, son inquiétude. Je le laisse à reculons, il me fait un petit signe en coiffant distraitement une poupée brune.

20 août 2008

Le retour

Ils n'étaient pas là et nous nous habituions. Ils sont revenus, leur visage a changé, ils sont plus grands non? Ils ont dans les yeux des trucs dont nous n'avons pas idée. Nous nous serrons, nous écartons, pas certains que ce soit comme avant. Ma fille sent le patchouli.

19 août 2008

Les lunettes

Quand nous roulons et que le soleil est fort, nous coinçons dans les vitres arrières des draps qui protègent les enfants. En général nous n'obstruons qu'un seul côté à la fois. Ce jour là, celui du départ et de la longue route, le soleil est très fort et brûle de partout, nous accrochons donc deux draps, un à gauche, l'autre à droite. Au stop, je vois bien que je ne vois pas, mais comme j'ai fait gauche-droite avec ma tête, je me sens autorisée à démarrer. Nous sommes partis, je me dis, on doit pouvoir faire avec les angles morts rendus aveugles. Je démarre et mes passagers aussi par la force des choses. Je vois mon mari se ratatiner sur son siège en regardant par la fenêtre et dans le rétroviseur soudain très proche une voiture qui n'y était pas. Mon mari dit sa peur et me regarde, sa confiance ébranlée. J'essaie d'afficher un profil concentré qui puisse convaincre. Mon fils m'appelle. Je veux dire que je ne peux pas mais du coin de l'œil je vois : il me tend de l'arrière gentiment mais fermement mes grosses lunettes rouges.

chien de prairie

Vers les deux heures du matin, souvent c'est son heure. Elle s'agite, griffe les draps. Et puis immanquablement à force elle se réveille. Elle a alors cette façon si particulière qu'ont les tout petits de s'assoir : elle entreprend de s'assoir. Le corps en entier impliqué qui décompose parfaitement l'action, pourtant m'échappe maintenant l'ordre exact de ses gestes. Une fois assise, elle cherche des yeux les miens, ses mains sur les genoux.

18 août 2008

Le vol de la mouette

Je suis debout sur la plage. Le sandwich dans une main, deux tranches collées l’une sur l’autre avec au milieu de la tartinade. Mon mari l’a préparé ; deux tranches plutôt qu’une seule pliée en deux. Je suis devant la mer, debout, le sandwich tenu haut proche de mon visage . Je regarde mon fils sans doute, et aussi la mer. Je mange, attentive mais pas certaine d'être vraiment là. Et puis comme une réalité qui me réveille, je sens une poussée, derrière, quelque chose d’un peu chaud contre mon épaule. Le sandwich emporté, mes mains vides et la mouette déjà haut au-dessus des vagues. Le visage de mon fils en face de moi, un léger dégoût du contact avec l’animal, les cris des deux touristes derrière, leur stupéfaction : il faut se rendre à l’évidence, je me suis fait chourave mon sandwich.