Il me semble que c’est un jeu de patience, de patience et de dénuement.
Des morceaux d’os blanchis qu’on fait sauter dans ses mains en attendant le lendemain.

12 déc. 2009

La parure

Je suis assise sur le tapis de leur chambre, elle est derrière moi elle passe un fil de scoubidou autour de mon cou, elle tire un peu hey! attentionheuuu je dis. Son poids dans mon dos elle se penche les cheveux sur ma joue, que tu es belle elle dit. Elle ne m'étrangle pas, elle me pare.

10 déc. 2009

Sa résistance

Il change de forme inlassablement renard, écureuil, chevalier, poulain, indien, dauphin. Nous le reconnaissons au milieu de cette foule : une même joie l'anime, il brille. Une nuit je l'entends rire un peu dans son sommeil. J'ai parfois la tentation mauvaise d'éprouver cette joie, d'en connaître les limites, voir ce qu'elle nous laisserait de notre fils une fois dissipée.

3 déc. 2009

Trop serrées

Elle pose une question elle la pose jusqu'à ce qu'un geste ait répondu. L'abstraction du langage, ses promesses et ses impuissances ne l'intéressent pas. Elle répète inlassablement de là où elle est, ce qu'elle voit, ce qu'elle veut, ce qui la blesse, ce qui lui manque. Je me fatigue à essayer de boucher ce flot par d'autres mots que sa transe intègre sans les entendre. Je crie parfois, je jette des objets sur le sol pour trouver dans la stupeur un peu de silence.
Elle est une enfant irréductible irréductiblement. Elle ne nous facilite pas la tâche, elle n'est pas là pour ça. Ses yeux me sont opaques et derrière ses colères il n'y a rien de ce que j'imagine. Toi tu nous vois, toi tu me prends les épaules avec douceur, toi tu me dis pousse toi.

19 nov. 2009

Le bon vent

Il est question de ce que l'on écrit, de la forme que cela prend, de la correspondance qu'il doit y avoir entre les deux. Le dire avec sa propre voix. Avec les mots chercher une forme qui ne s'invente que pour dire cela. C'est tout. On le sait quand on y arrive, on le sait très bien, va.

8 nov. 2009

Crash

Au magasin, je tiens ma fille, je la retiens, la rattrape la redresse, une catastrophe toujours imminente. Nous passons à la caisse, rien ne s'est encore passé. Je vide le panier sur le tapis, des yeux j'immobilise la petite. Soudain un cri derrière moi, je me retourne : un grand sac de gruau sec s'est éventré, benne impatiente et lasse, des mains de la caissière. Une pyramide parfaite de flocons farineux transforme la caisse en objet bête et incapable. Je dis «on devrait prendre une photo» sans écho. L'employée fusille le client à la passion déraisonnable. Il aura mal fermé le sac, « non non» fait-il d'une petite voix; elle dramatise, la caisse est foutue c'est certain et encore, immobile, il faut agir vite. Je finis de payer, je devrais partir, je reste fascinée. Je range mes courses lentement, je rattache mes lacets et époussette ma fille qui ne ferme plus la bouche. Nous partons à reculons, quittant à regret l'événement et son suspens.

3 nov. 2009

L'apprentissage

Je lui raconte l'école de mon fils et les nouvelles douleurs qui vont avec. L'apprentissage, le sien le nôtre. Je sens toute mon angoisse dans mon récit que je voudrais plus léger. Je raconte ces petites choses dures anodines qui nous arrivent, qui disparaîtront derrière nous. Nous sommes amies et mères toutes les deux, de les dire nos yeux s'embuent.

Les mots

Ma fille prononce avec application des mots qui m'étonnent encore dans sa bouche, visage, elle dit ton visage. Elle dit aussi J'ai pas sommeil. Je la regarde comme si je l'entendais pour la première fois, avec ces mots qui me paraissent trop grands pour elle. Sa parole se découpe et m'atteint en plein cœur.

19 oct. 2009

L'absence

En vélo ce matin après avoir déposé ma fille je croise un ami. Je le vois juste avant qu'il ne traverse la rue que je traverse en sens inverse debout en danseuse sur mon vélo. Je me dis «Ah tiens F.». Je veux l'interpeler mais il tourne la tête pour vérifier qu'aucune voiture n'arrive. Il est un peu essoufflé et marche en se précipitant vers l'avant. Quand il regarde de mon côté son regard est si loin que je n'ose lui faire faire tout ce chemin vers moi. Nous nous croisons donc sans nous reconnaître et cette absence me pince un peu.

1 oct. 2009

La chanson

Je me dis qu' il n'y a pas que le travail dans la vie. Je vais chercher la lampe frontale dans ma chambre, j'attrape le classeur de chansons dans le bureau, j'entre dans leur chambre où ils viennent d'éteindre après avoir écouté leur père lire Spirou. Je me couche sur le tapis, je dis attention je vais chanter. Je tourne les pages photocopiées, ah BangBang. Je chante, mais pas très bien, je me lasse. Mon fils dit c'est triste quand même, ils se séparent. Ah oui, c'est triste. Bon une autre, ah le petit âne gris. Je commence, les paroles sont lourdes comme des cailloux de catéchisme. J'escamote le couplet final, on a bien compris l'idée. Je vais essayer de trouver quelque chose de plus rigolo je dis. Personne ne répond, ma fille essaie de remonter sa boîte à musique, je lui lance un regard appuyé. Je commence une autre chanson plus douce et jolie. Comme je suis assez fière de moi, je ne veux pas m'arrêter même quand mon fils m'appelle. Quand j'ai finit, je le regarde, il pleure. Il dit que ça lui fait trop de peine ce petit âne qui meurt tout seul au fond d'une étable. De grosses larmes roulent sur ses joues. Pensant le consoler, je lui dis que l'âne est mort en dormant parce qu'il était très vieux et que c'était doux. Il s'arrête un peu et répète en pleurant plus fort « alors il est mort en dormannnnnnt ».
Je suis là toute démunie avec ma frontale et mon classeur, bonne nuit les petits.

15 sept. 2009

Le patron de Segal

Plus jeune quand je remontais tard le soir le boulevard Saint-Laurent, je le voyais souvent derrière la vitrine de son commerce fermé, affairé à quelques obscurs décomptes qu'éclairait la faible lumière d'une lampe posée sur une caisse. Il pouvait être minuit qu'il travaillait encore. Je remonte aujourd'hui du Sud au Nord assez tôt le matin, non pas le boulevard Saint-Laurent mais sa première parallèle à l'Est. Je le vois encore. Il porte les mêmes vêtements informes, les cheveux hirsutes, le poil pas rasé. De ce côté-ci du commerce, il négocie, il supervise les marchandises qui rentrent, il signe des bons de livraison. Ce matin au volant d'un monte-charge, il flirt avec l'une de ses caissières. Debout à côté de l'engin arrêté, elle tient son café d'une main et bourre de l'autre l'épaule du patron de petits coups moqueurs. Elle rit la tête en arrière, lui ne rit pas mais cela se voit qu'il joue aussi. Je passe à vélo à côté d'eux, je les dépasse, je ne peux m'empêcher de tourner la tête pour les voir encore. Il garde inattaquable cet air têtu et juvénile qui le distingue. Il est en affaire.

11 sept. 2009

Le zèle

Il est 11h30, les étudiants et professeurs sont rassemblés en cercle autour d'un maigre buffet. Je suis l'une d'entre eux, on me sert un verre de vin rouge, je sacrifie au rite. Accueil, présentations, bons mots et rires complices, je deviens sentimentale. Je dis merci droit dans les yeux, j'encourage les timides, je fais circuler le bol de chips. Je faillotte à planche, je veux en être, une bonne élève. En partant, je m'arrête à la cafétéria manger une mauvaise salade de riz, pour dégriser.

9 sept. 2009

La technique

Le fleuve est très tumulteux à cet endroit, une vitesse dans l'eau qui me fait serrer plus fort la main de la petite. Sur la berge à nos pieds, cinq kayakistes en apprentissage bien alignés mais tendus, la main qui vérifie encore la jupe qui pourrait ne pas tenir. Plus loin dans les remous, un homme pagaie contre une vague et son courant, il sourit à son aisance et à sa force, il est le professeur. Il se distrait laissant aux apprentis le temps de s'installer. Ceux-là l'attendent avec humilité depuis plusieurs minutes. Juste avant d'exagérer, il fait deux trois mouvements techniques, hop et hop et le voilà devant eux qui commençaient à prendre le bouillon en grippe, « alors on est prêt ?».

1 sept. 2009

Le grillon

En me penchant sans mes lunettes, je croyais à un morceau de chocolat oublié sur le sol de la cuisine. Au contact pelucheux sous mes doigts, ah non mais qu'est ce que c'est ? Je me penche plus près c'est un grillon. Il n'est pas mort mais il n'est pas fort. Est-ce le bleu du placard qu'il aura pris pour la mer ?

La couleur de l'action

Ils sont repartis, bourdonnants d'action et de mots pour la souligner «nous avons trouvé un producteur... il faudra manger sur le set... connaissez vous quelqu'un avec une voix radiophonique pour la voix off... nous cherchons une preneuse de sons». Silencieux et minimes, nous refermons la porte derrière ces amis et leurs importances. Nous avons repeint les portes du placard de la cuisine. Nous nous regardons et de nouveau le placard. Ce bleu vibre d'un drôle de halo jaune. Nous choisissons une autre couleur que nous appliquons par dessus. Il aime beaucoup, il me le dit. Nous regardons la couleur la tête penchée en attendant qu'il se passe quelque chose.

31 août 2009

Le deuxième soir

Je vais le chercher avec sa soeur. Nous arrivons devant la cour, je pousse le portail le coeur battant. Elle le voit en premier, elle crie son prénom, elle s'élance vers lui. Il joue avec deux filles au pied d'un arbre près de la clôture. Deux jeunes femmes à oreillette me regardent, l'une dit quelque chose dans le micro devant sa bouche. Je fais un coucou incertain. Il nous voit de loin, sourire contrit, «encore cinq minutes», il souligne de sa main ouverte. Je fais oui oui bien sûr et rattrape sa sœur par le paletot. Nous nous éloignons. Debout dans la cour au soleil, je fais le point : une grande cour goudronnée, quelques arbres maigrichons le long de la clôture, un vieux panier de basket en plastique accroché trop haut et trois cônes oranges les mêmes que pour les travaux. Il arrive à côté de moi, nous regardons sa soeur qui court au milieu; il dit avec son air plissé critique mais résigné «ouais y a que ça ». Nous nous regardons et finalement ça nous fait sourire ce dénuement.

29 août 2009

La rentrée des classes

Nous marchons vite en nous serrant la main, la sienne chaude et charnue, mon petit. Je me suis mise chic mais tout ce noir m'engonce et me trahit. Il couraille pour me suivre joyeux encore, un grand sac à rebonds dans le dos, c'est moi qui porte sa boîte à lunch. Nous traversons le parc en face de l'école, les arbres nous rafraîchissent. Derrière eux par intermittence, la cour nous arrive agitée de grands, de petits, de sacs, de chaussures, de vêtements qu'on étrenne. Nous sommes sur le trottoir à quelque pas, il ralentit et tire sur ma main. Je me retourne, il regarde derrière mon épaule, dans mes yeux et à ses pieds « viens, c'est pas la peine, on rentre». Je tire un peu, il résiste. Penchée à sa hauteur et dans les yeux, je chasse le vertige avec autorité. Il prend sur lui, nous poussons le portail. Nous avançons serrés par la foule, il y a des pancartes accrochées au mur, je cherche son nom. Je le trouve inscrit au groupe des coccinelles, écrit en lettres attachées, penchées pour faire plus gai. Il prend la mesure des choses, je feins de les trouver normales et bonnes.

26 août 2009

La veille

Nous regardons la liste des fournitures : 4 tubes de colle PRITT, deux boîtes de 16 feutres pointe large CRAYOLA, une gomme à effacer, une paire de ciseaux bout rond, deux boîtes de 8 feutres pointe fine CRAYOLA, un cartable à trois anneaux large de 1 pouce, trois crayons à mine HB, une blouse à manches longues. La vendeuse qui s'y connaît nous enjoint de respecter les marques : la colle PRITT par exemple, deux fois plus chère que la HITCHE qui nous tente et que je tiens dans ma main, présente un taux d'humidité avantageux parfaitement adapté aux collages scolaires. Nous ne voulons pas plomber les futurs travaux de notre enfant et l'imparable technicité de l'argument l'emporte. Nous tiquons encore sur les quantités. Quatre tubes de colle? Fais moi voir. Ah oui quatre tubes de colle. Incapables de nous résoudre à cet achat en gros, nous optons pour la poire en deux sur la colle et les boîtes de feutres pointe large. Le soir en remplissant le sac, je fais l'inventaire avec mon fils. Il me demande « est-ce que je devrais dire à la maîtresse que j'ai que deux tubes de colle parce que mon papa et ma maman trouvaient ça pas drôle d'acheter toute cette colle d'un coup ? ». Ohlalala non, surtout pas.

25 août 2009

L'autobus scolaire

L'épicerie du coin est en travaux, fermée pour une semaine. Un autobus scolaire a été affrété pour transporter les clients loyaux faire leurs courses à l'autre succursale plus loin sur l'avenue. Nous ricanons en passant de ce service, drôle de supplique, évitant de justesse la poigne mercantile du chauffeur qui veut nous y faire monter. Nous imaginons embarquer finalement dans l'intrigue et chanter très fort : chauffeur si t'es champion, appuieeuuuu appuieeuuuu, chauffeur si t'es champion appuie sur le champignon.

24 août 2009

L'intelligence

La route a été longue, encore plus maintenant que nous sommes perdus. Il faudrait demander notre chemin, surmonter cette timidité d'étrangers. Dans l'attente respective du courage de l'autre, nous scrutons indécis les alentours «peut-être par là ?». Il le fait en premier. Je le vois au coin de la rue, les mains aux hanches l'air concentré sur les gestes vagues d'un homme impressionnant. Il revient, remonte dans l'auto et indique une direction que nous suivons un temps avant de la perdre et nous avec, de nouveau. C'est mon tour, je descend, j'approche une femme et une poussette et une fillette de 5 ans qui marche devant. J'appelle «madam!», elle se retourne, la petite fille derrière elle toute allumée de curiosité. Je demande mon chemin, elle se frotte la tête. Elle a peut-être quarante ans, l'air habile de celle qui navigue au milieu de tout cela. Elle regarde dans toutes les directions. L'enfant sautille le regard qui glisse sur moi indifférent, sa mère lui fait signe de se taire, elle se concentre. Je la regarde, je ne la connais pas, elle m'inspire confiance. Je l'ai arrêtée juste avant qu'elle n'arrive au dépanneur du coin, peut-être acheter du lait ou de la bière et un ticket de loto. Finalement, elle m'explique le parcours, le plus direct. Elle est très précise, vérifie à chaque étape que je la suis et récapitule à la fin. Je la quitte à reculons, elle lève deux pouces victorieux vers le ciel béni d'Amérique.

19 août 2009

Le culturiste

Nous le regardons arriver de la droite longtemps avant qu'il ne passe devant nous et ne disparaisse sous l'horizon à gauche. Il marche vite à pas serrés dans le sable souple. Les bras sont tendus étirés chacun par un haltère suspendu à leur main. Les muscles des épaules contractés forment ce trapèze étalon des salles de gym. L'homme est vieux, il a le souci de son corps qui lui aimerait bien vieillir, s'affaisser sous la contrainte. Des années de travail pour figurer, gestes huilés, une force à vide, une forme qui ne se fait plus. Ce soir sur la plage, nous le voyons résister encore un peu.

12 juil. 2009

Une chute

Il porte son casque de vélo jaune il grimpe dans la structure. Je porte ma fille dans mes bras, elle cogne son casque contre le mien pour rire. Nous attendons, nous allons rentrer. Il tombe une fois, je ne vois pas la chute juste derrière le dos de la personne qui me parle. Je vois mon mari proche de lui qui se penche et le relève, il sourit, rien de cassé. Il remonte. Il essaie d'avancer suspendu aux barreaux d'une échelle horizontale. Ce genre d'exercice de cours de gymnastique. Il veut essayer, il se suspend et agite ses jambes. Il veut être capable «tout seul» et repousse le soutien de son père. Il lâche, tombe sur ses pieds et remonte aussitôt. Il se suspend, lâche encore, tombe sur les fesses cette fois, c'est assez haut. Son père le relève, lui frotte le dos. Mon fils court vers moi, devant les autres il ne veut pas pleurer mais quand même une petite larme a jailli sous le choc, je la vois sous le coin de l'œil. Je pose ma fille, me penche casquée vers mon garçon. Il se tient les reins l'air marqué, j'ai soudain très peur, son père aussi qui s'approche, nous rentrons soucieux. Je lui trouve l'air pâle, les yeux cernés, je crains une paralysie, lui demande s'il voit double, s'il voit flou, s'il se sent mou. Son père le plie, lui fait toucher ses pieds. Bon c'est bien. Nous dessinons longtemps à la craie sur le trottoir. Je m'apaise un peu de le voir absorbé dans le dessin, le visage content d'un bon trait.

9 juil. 2009

Niveau 1

Nous buvons des bières debout au comptoir. Nous parlons, je tripote ma bouteille. Je décolle l'étiquette que je plie en deux. J'abandonne mon pliage je bois une gorgée. Je suis prise dans la conversation, mes mains elles aussi se concentrent sur les mots. Le serveur approche, il ramasse nos bouteilles vides, nous en commandons de nouvelles. Il tend la main vers mon papier, la mienne lui dérobe avant, plus vite. Machinalement sans que je le décide. Je déplie, je replie le papier brillant et moite. J'écoute, je parle, je le déchire un peu, puis le délaisse, les doigts agacés par cette manipulation. Le serveur entre dans mon champs de vision, sur la gauche, il s'approche, il tend la main, je le devance encore. Le manège n'est plus accidentel, les camps se divisent. La responsabilité de l'homme derrière le comptoir est de lutter contre le chaos qui veut s'installer. Il dirige l'action, la recadre. Il ramasse des pièces d'or, il évite les embûches, il circonvient les gorilles et leurs tonneaux. Ses gestes sont rapides, précis, optimisés. Moi, je contrecarre avec un morceau de papier déchiré.

3 juil. 2009

Son film

L'eau est là! L'eau revient au village! Joie!
Pour travailler j'ai mis ma fille devant Kirikou. Je suis installée à mon bureau dans la salon, je cherche à travailler. La bande son s'intercalle, ma fille dit avec un point d'interrogation « maman regarde pas Kirikou?» non elle ne regarde pas, maman. Maman travaille. «D'accord» dit ma fille.
La réalité de Kirikou est plus forte que la mienne. Le potager est dévasté et avant qu'il ne produise nous allons mourir de faim. J'ai des problèmes moins graves, c'est sûr. Mes problèmes n'ont pas de nom et pas de solutions. Nous allons devenir potiers! C'est la femme forte qui crie. Je ne vois pas ce que je pourrais crier de mon avenir avec autant de conviction. Kirikou est petit mais il est vaillant. Je suis grande et je me sens incapable. Et Kirikou que fait-il ? Il fait fortune ! Il vend même des pots qui ne sont pas encore faits. La sorcière enrage. Moi aussi.

1 juil. 2009

Son voyage

La pluie tombe forte et molle, des grosses gouttes qui noient le pare-brise. Je reviens de l'aéroport, il y a beaucoup de ciel, toujours dans ces moments là. Je mets de la musique, je prend ma place dans le mouvement. Tout a l'air nécessaire et important, c'est comme ça que c'est beau. Ma mère est repartie.

18 juin 2009

À mon travail à la pause

Les secrétaires fument sur un banc au soleil. Sur un banc à côté la directrice. Elle est seule, elle fume aussi derrière des grandes lunettes noires. Elle prend son temps elle profite de la chaleur. Je suis assise dans l'herbe avec des collègues. Nous mangeons et crions au récit d'une histoire scandaleuse. Le repas terminé notre groupe passe devant la directrice. Je ralentis le pas, je lui souris, nous parlons un peu de ce plaisir du soleil. Je voudrais parler plus, mais je m'en vais, à reculons prise dans un courant invisible qui m'entraîne. De ma fenêtre, je la vois encore et les murs brillants de sa fonction qui l'entourent.

16 juin 2009

La mutinerie







Nous sommes à table, nous mangeons et soudain il faut que ça sorte.
- J'aimerais mieux que le professeur Tournesol soit aveugle plutôt que sourd parce qu'au moins il arrêterait de dire « Ah mais bien sûr... »... là enfin tu vois...
Il imite le professeur, lève le nez, agite une main distraite. Il revient à lui, secoue sa tête désolée, mâche pensivement. Nous voyons tout à fait. On n'en peut plus de cette surdité capricieuse qui se règle le temps d'une virée lunaire et qu'on tolère le reste du temps. Elle agace comme une démangeaison qu'on ne peut pas gratter. C'est insupportable. Au moins aveugle, c'est sûr. Aveugle c'est aveugle, on joue pas avec aveugle ni avec nos nerfs. Aveugle ça irait. Nous finissons le repas soulagés et solidaires.

2 juin 2009

L'action

Il choisit des couleurs qui ne vont pas forcément ensemble. Il ne se pose pas la question de l'harmonie avec les mêmes réflexes que moi. Il choisit la couleur qui vient, il l'accueille sans a priori et ça va toujours. Je me souviens des garçons de ma classe qui dessinaient leurs batailles; j'aimais ces gribouillis pleins d'intention, des traces d'action imparables et simples. Tout avait l'air en mouvement, en train de se faire. Je les admirais de pouvoir rendre cela quand de mon côté je m'empêtrais dans des dessins sans projet.

26 mai 2009

Le commerce

Une dame appelle, elle veut acheter la chose, elle négocie le prix que mon mari baisse. Il raccroche, il dit « elle marchande», je dis «bon». Je vais chercher la chose dans la remise. Je décide de la brosser, mais comme je n'ai pas de brosse, je la mouille avec un linge. Mon mari arrive «mais qu'est ce que tu fais ?». Nous regardons la chose toute détrempée. Je cligne un œil et penche la tête pour voir si ça se voit. Ça se voit. Je répare le dégât au sèche-cheveux, la chose est sèche mais auréolée et pas vraiment plus propre. La dame pas très aimable rappelle, attention elle arrive dans 30 minutes. Nous regardons un film, la transaction que nous devons régler se mets devant l'écran. Finalement, la dame qui veut sa chose sonne, il descend, je me cale dans le canapé sans rien regarder, j'écoute les voix lointaines sur le trottoir. Il remonte avec un billet. La dame pas très correcte a fait encore baisser le prix. Il a cédé non sans lui signaler son manque de classe. J'approuve, nous soupirons soulagés, nous n'avons pas le sens des affaires.

20 mai 2009

Les paramètres

Je n'ai pas réussi un travail. C'est embêtant «mais bon». Je tourne en boucle le souci de cet échec, incertain bonnet d'âne. En boucle inverse, je me somme de relativiser, prendre du recul, allez allez. Je récupère les enfants. Ils me parlent, racontent, sautent, réclament, proposent, attendent. Je reste sourde au monde, embarrassée de cette question girouette qui refuse de se fixer : à partir de quoi, quand, où, comment, c'est vraiment grave ?

19 mai 2009

Le massage

Il a du mal à se concentrer, il gigote sur la table de massage. J'évite de le regarder, j'ai peur de rire. Je suis nerveuse je surveille l'ostéopathe assis derrière lui. Il lui masse le crâne, deux mains fermes, bras tendus, la tête un peu penchée, les yeux fermés. Il se lève et dit à mon fils de s'assoir. Ravi de la distraction, chatouilleux comme pas deux l'enfant se contorsionne sous les manipulations. L'ostéopathe le plie, le place, se couche un peu sur lui, le tourne, le serre contre lui . Mon fils tout rouge, rigole et entre deux hoquets «ah ah tu m'étrangles ».

9 mai 2009

Séquence américaine



Une femme est assise sur le bord d'un trottoir devant un stationnement vide. Il fait assez chaud pour manger dehors, ce qu'elle fait, un plat pour emporter ouvert sur les genoux. Elle mange avec ses doigts quelque chose de la couleur indéfinissable de ses cheveux, orange brûlé longtemps réchauffé. Elle porte à sa bouche cette nourriture qui ne mérite pas la grâce de son geste et que la lumière de fin d'après midi ne sauve pas. On retrouve plus tard le plat abandonné à moitié consommé. Elle a du s'essuyer les mains, des serviettes en papier chiffonnées sur le sol. Elle se lisse les cheveux en fumant, elle aspire la fumée et ça lui creuse les joues. Elle écrase sa cigarette sur le béton de la marche et d'une pichenette adroite et nonchalante elle envoie plus loin son mégot.
La photographie est de Paul Graham (Woman eating, New Orleans, 2004).

7 mai 2009

Le cap

Elle a dormi toute la nuit. Petite boule ramassée, son lit tempête dans la cuisine. Nous l'observons ce matin, détaillons les effets du miracle. Droite dans son ciré, sérieuse sous son chapeau de pluie, elle se poste devant la porte, elle est prête. Ô capitaine, capitaine, le calme est-il revenu?

3 mai 2009

Se voir

Nous marchons sur la rue dans le soleil. Les enfants, nous ne les avons pas jusqu'au lendemain. Il jette un regard à son reflet dans une vitrine. Il ralentit, il n'en revient pas de ses cheveux blancs, il les touche pour vérifier. Je ris et je confirme. Nous continuons les mains dans les poches, c'est comme ça.

26 avr. 2009

En différé

Le dessin il l'a fait dans l'après-midi. Il essaye de me le montrer mais je bataille avec sa sœur qui refuse. Il veut le montrer à son père qui téléphone alors ça ne se fait pas non plus. En nous couchant, nous le voyons, posé sur le meuble à tiroirs. Il y a quatre cases, et dans chaque case un bonhomme. Il y a les gentils à gauche qui sourient. À droite, les méchants, forcément qui font la gueule.

24 avr. 2009

Le macaron

Le moniteur distribue les certificats aux enfants autour de lui. Il a les mains encore mouillées, il cherche maladroitement le bon macaron de la bonne couleur qui indique le niveau. L'amie d'Eustache attrape le sien rouge pour le passage au niveau des plongeurs, mon fils un vert pour les glisseurs. Je ne peux retenir un « encore! » sonore.
Les enfants sont sous la douche, je suis seule au bord de l'eau incongrue toute habillée, le moniteur est perché en sauveteur. Je ne suis pas sûre de moi, je fais des petits signes vers lui en vain. « Je n'ai qu'à tomber à l'eau », je ne ris pas longtemps quand il m'avise le sourcil peu amène. Je fais le tour du bassin, j'attends au pied de sa chaise. Il descend lentement, me regarde sans politesse, je demande des explications. Il évoque de la distraction et clôt l'entretien en marmonant. Je monte à l'accueil, complote un peu et inscris mon fils en plongeur.
Le cours d'après, main sur le front - tête en arrière, le même moniteur s'occupe des plongeurs. J'accompagne à reculons mon fils qui saute dans l'eau sans en faire tout un plat. Je passe le cours intensément derrière la vitre, tendue attentive à chacun de ses godillages.
Nous sortons de la piscine épuisés mais heureux et plongeurs. L'avenue du Parc ensoleillée s'incline devant cette victoire incontestable.

22 avr. 2009

Hors programme

Je la prends dans mes bras, nous tournons la tête du même coté, j'écrase ma joue sur son nez maladroitement, nous rions un peu, nous nous serrons et tâtons nos côtes comme la sorcière qui ne trouve jamais les enfants assez gras à son goût. Nous travaillons ensemble depuis longtemps maintenant, elle me parle en italien comme à sa fille. Ce matin une mauvaise nouvelle l'accable, je cherche une position qui ne soit pas celle du travail. J'ai senti longtemps sur ma joue son grand nez qui s'écrase, la mollesse et les angles du contact de nos visages.

19 avr. 2009

Cela dit

Cela partirait un soir d'été en oubliant la routine. Cela descendrait vers le sud, une route à numéro, dans un wanabago pourquoi pas cela n'aurait plus peur des mots. Cela irait jusqu'en Californie, voir Monterey. Tout aurait changé, aussi la rue de la sardine qui n'a pas existé. Cela ne serait pas grave, cela vieillirait bien entre nos mains.

7 avr. 2009

Les touristes


Ils sont coincés hors-saison dans un hôtel désert. Ils n'ont plus d'argent et volent de la viande de grison au supermarché. Dans les couloirs, il y a des ouvriers qui font des travaux de réfection avant l'ouverture de la saison. Les hommes s'arrêtent de travailler quand ils passent dans le couloir. Ils sentent leurs yeux qui les suivent jusqu'à ce qu'ils aient fermé la porte de leur chambre. Ils sont venus faire un film, une commande, ils n'ont pas d'idée et plus d'argent. Certaines journées, ils partent marcher sur la ligne de crêtes pour échapper au panorama. D'autres, ils font les pitres sous les télésièges immobiles.

6 avr. 2009

L'actrice

Apprendre les marches

Il m'arrive dans les escaliers de perdre le principe de la marche. Je me rattrape à la rampe, me sauve de la chute. Mon cerveau a travaillé vite, je le sens à la chaleur qui m'envahit.
Ma fille apprend les escaliers, elle les monte seule, je suis derrière elle. Elle pose ses pieds et déplace sa main le long de la rampe. Elle découpe le travail avec grâce en même temps qu'elle placotte comme on passe le temps en pliant du linge.

31 mars 2009

Le chien

Nous traversons la ville en son milieu par la rue principale qu'on dit nationale. Nous ne sommes pas seuls, bientôt coincés dans un embouteillage. Il fait chaud, je suis assise à l'arrière car je suis une enfant. Les voitures sont à touche touche, leurs vitres baissées, je suis à l'arrière de l'une d'entre elles. Dans une autre à côté, de mon côté, il y a un chien assis. Il tire la langue comme font les chiens qui ont trop chaud, il bouge une tête stupide comme font les bêtes domestiquées. Je le regarde, il me regarde, je le vois me voir. Je ne sais pas si le dégoût vient avant la honte mais je rougis.

28 mars 2009

Réunion de production

- Voilà ce serait à peu près ça ... mais bon ... l'histoire ne compte pas, pas tant que ça... Ce que j'aimerais réussir à rendre c'est .. un esprit, une atmosphère. Laisser croire que tout est possible.
Il se tait, les gens hochent la tête. Il plonge dans son sac sous la table, il fait semblant de chercher quelque chose pour se soustraire à cette gêne. Plié en deux, la tête en bas, il se demande où puiser l'énergie et le courage de remonter. S'il restait penché comme cela, est-ce que les autres partiraient ? Il se redresse, un stylo entre les doigts.
Quelqu'un se racle la gorge à l'autre bout de la table de réunion :
- En lisant le... le scénario, je crois avoir décompté 12 extérieurs différents, très différents.... tu penses vraiment que ce soit nécessaire à l'histoire ?
- Non... non non...et puis je me disais qu'on pouvait signifier cela de façon très simple... des posters suffiraient pour marquer ces décors différents.
Le chef-décorateur le regarde l'air suspendu et finalement peut-être insulté : « tu dis des posters ? ... des posters ?». L'équipe le regarde. Lui aussi.

26 mars 2009

Une figure possible

Les modalités de l'action

- La grève n'est pas une finalité en soi. Si nous devenons trop mous, il ne se passera rien.
- Je suis avocate; je suis ici pour vous donner une interprétation restrictive de l'injonction qui a été déposée hier contre vous. Le reste je ne veux pas l'entendre.
Elle se tourne vers Jean-Michel à ses côtés, il garde les bras bien croisés et le regard haut. Elle rit en se balançant de droite à gauche, décroise les jambes et tient mollement le micro. Elle est assise sur le bord de la scène devant la maigre assemblée ce matin de professeurs en grève. Les purs et durs me dit-on, « il y aura plus de monde à l'assemblée consultative ». La veille une injonction a été émise à l'encontre de leur syndicat pour interdire les actions des grévistes qui nuiraient au bon fonctionnement de l'Université. Il ne faut désormais plus empêcher, intimider, bloquer, faire, nuire, ordonner et ce dans un périmètre de moins de 5 mètres.
Le téléphone de Jean-Michel sonne. Il porte un brassard du CSN au nom duquel il doit promulguer des conseils sur les modalités possibles de l'action. Il n'est pas professeur, il s'occupe des modalités. Debout au pied de la scène, il regarde son téléphone qui brille dans sa main, il le porte à son oreille en s'éloignant, l'air important.
Une question dans la salle, une professeure à qui on dit « plus fort! » répète plus fort :
- Est-ce que dessiner un périmètre de 5 mètres à la craie pourrait être considéré comme du vandalisme ?
L'avocate hoche la tête pour peser le pour et le contre. Jean-Michel qui est revenu se tient le menton l'air problématique et finalement conseille : « C'est sûr qu'il ne faut absolument rien mettre sur les murs; bon sur le sol, la craie... peut-être que ça peut passer ». Un silence dans la salle.

22 mars 2009

Avant le souper

Elle est impossible, nous sortons. Il fait beau mais encore froid. En bas des marches, elle dit non non plantée sur ses deux pieds. Je la tire vers le soleil récalcitrante. Nous marchons à reculons sur la rue Mont-Royal, elle regarde le bus à l'arrêt, le suit des yeux quand il démarre. Elle s'assoit sur une marche, je m'assois à côté. Je tend mon visage vers le soleil, elle gigote un peu pour se coller mieux. Je la regarde de tout près pour comprendre son problème. Elle a des traces de larmes sur les joues, le nez et le menton mouillés, le bonnet trop grand au ras des yeux, l'anorak plein de miettes et ses mains dodues qu'elle voulait nues toutes rouges de froid. Elle consent à sourire au milieu de tout cela. Assises sur un trottoir dans la poussière du soir, nous aimons ne plus avoir de but.

18 mars 2009

La consultation

Je suis là parce que j'ai rendez vous. La secrétaire a vérifié ma carte d'assurance maladie, pris l'empreinte de ma carte d'hôpital. Je suis la bonne personne qui va avec cette carte et mon dossier affiche les coordonnées rassurantes de ma vie. Mon adresse, mon téléphone, celui de mon mari en cas d'urgence. J'ai rendez-vous et j'attends mon tour. Sur les murs, des affichettes insistent en rose et en délié sur des problèmes intimes, parlons en! sans préciser à qui. J'entends mon nom.
Je suis une infirmière, j'ai commencé mon chiffre ce matin à 9h. Je prends les dossiers, j'appelle des noms, des femmes se lèvent que je répartis dans les salles d'examen. Celle-ci à la salle 3 avec le docteur Landry.
Il y a le bureau du docteur, petit et impersonnel; il y a la chaise d'où l'on répond avec application; il y a une autre chaise pour poser ses effets derrière un rideau qu'on peut tirer. La table d'examen bien au milieu et une jaquette à motifs posée dessus.
J'enfile la jaquette par dessus mon chemisier et ma culotte, en bas les chaussettes. Je croise mon reflet dans la glace, je me demande si je ressemble aux autres. Il entre, il s'assoit tout de suite au petit bureau. Surprise devant le miroir, je ne suis pas à la bonne place, ça perturbe l'organisation de la salle et celle prévue des corps. Il est le docteur Landry. Je passe derrière lui et m'assois sur la chaise à sa droite. Il demande sans me regarder : on s'est déjà vu?

15 mars 2009

Comme dans un Truffaut

Il porte un chapeau et une barbe, une cravate et une veste, aux pieds des espadrilles. Il est vraiment lui comme ça. Il chante, il joue, et sa voix et ses gestes s'accordent très simplement. Il danse un peu d'avant en arrière. Tout ce qu'il fait lui ressemble, lui appartient. Les jeunes filles à côté dansent en fermant les yeux. Je ne bouge pas trop, j'essaie d'être là. Nous sortons, la rue est déserte et venteuse, on dirait un western, nous sommes quatre amis. La vie est dure mais elle est belle et c'est pour ça qu'on y tient tellement.

9 mars 2009

Le décompte

Nous avons sonné, je l'ai regardé. J'aurais pu en attendant avoir ces gestes, on tire un peu, on époussette, on arrange le col. La porte devant laquelle nous attendons est vitrée, elle donne sur un vestibule fermé par une autre porte à rideau qui cache une agitation. La première s'ouvre, ils courent, ils sont là tous les deux. Le grand est excité et se rue sur la poignée pour ouvrir la seconde. Plus bas la petite se fraie un passage, l'air qui veut pleurer. L'émotion lui fronce le nez et tord la bouche. Il se jette dans les bras de son père, je n'ai que le temps de l'effleurer. Je la prend tout doucement, elle me regarde sans sourire vraiment. Je pensais à ce moment, nous nous serrions si fort que je sentais leurs corps de là où nous étions, loin d'eux, mais elle se tient raide dans mes bras et un peu en arrière. Je cherche son abandon avec les gestes habituels, le nez dans le cou et sur les joues. À côté, mon fils montre sa main doigts écartés et dit « ça n'était pas ça ... », il montre encore sa main plus deux doigts de l'autre : « mais ça! ».

8 mars 2009

Jeu de cubes

En fait il ne s'agit pas de vengeance, ni d'aventures, pas même d'amour. C'est plus simple et c'est moins drôle. Je veux montrer une histoire comme un cube : produire assez d'angles pour en deviner le volume, donner certaines des faces, mais pas toutes, ni les déplier. Tracer un dessin lacunaire mais précis.
La première histoire est une histoire de reconnaissance, celle que l'on attend, celle qu'on reçoit, la balances des deux, les comptes qu'on arrange. Des choses arrivent douloureuses mais comme des cuticules, pas plus graves que ça, enfin pas toujours. L'homme de cette histoire est un cinéaste, il montre son film dans une ville qu'il ne connaît pas, il espère ainsi échapper à une malédiction. Personne ne lui dit directement mais le public n'aime pas, il le comprend assez vite et on ne le détrompe pas. La malédiction est à l'intérieur même de son projet et c'est elle qu'il faudra essayer de voir.

27 févr. 2009

Une histoire. La vengeance

Ils attendent sous sa fenêtre que la lumière s'éteigne. Le cendrier déborde de cette attente. Il ouvre la fenêtre pour aérer et monte le chauffage pour compenser. Le froid gagne vite, elle lui dit, il remonte la vitre avec la manivelle. Il craint que l'ambiance n'ait viré. La lumière s'éteint, assombrissant tout à coup la façade.
- Ah quand même ... On y va ? Elle se tourne vers lui, il lui trouve un sourire féroce.
Il hésite, habitué à ses soucis il les supporte, il n'en veut pas de nouveaux, imprévisibles, inconfortables. Il se méfie de l'action. Elle a déjà ouvert sa porte et dit « on y va», c'est sans appel. Tout à l'heure, au chaud, la bière l'avait porté, ivre et joyeux de tant d'évidences scandalisées. Il faut se défendre,oui, mais pas seulement, non, rendre coup pour coup, oui , et pas tant pour lui, non, que pour son film aussi. Maintenant, engourdi et nauséeux - toutes ces cigarettes lui qui n'en avait pas fumées depuis trois ans - il ne souhaite plus qu'un peu d'eau tiède pour rincer ses mains lasses. S'adoucir.

Les mains

L'avenir est déjà là dans le souci qu'il nous donne. Le présent nous harasse des mille et un gestes à accomplir. Prolifére sans relâche ce qu'il nous incombe de faire : luxuriante responsabilité qui se nourrit de nos corps et de leur fatigue. Ce matin, assis sur notre lit, nous nous tenons les mains et ce contact écarte tout, une minute soudain très souple et très spacieuse. Les enfants attendent sur le seuil de la chambre, rendus timides par cette rupture de rythme. Notre fils retient un peu ses histoires de chevaliers qui pressent derrière son front, en retrait sa sœur, petite boule d'or et nez qui coule n'ose pas bouger. La chambre est claire et je reprend espoir.

22 févr. 2009

Une histoire. La projection

Il est bientôt 20h30, la projection va commencer. La salle est presque vide : les deux personnes qui l’ont invité, quelques étudiants venus l’écouter et trois autres personnes qu'il ne reconnaît pas. Son corps planté au pied de l'écran se démesure sous leur regard, il baisse les yeux et ne saura plus les relever. Il glisse en crabe vers le piano pour s'appuyer. La jeune femme qui doit le présenter a disparu, il imagine le pire. La porte s’ouvre, elle descend les marches. Il grince la tête vers elle qui se demande s'il va tomber.
Elle s'approche « on commence ?». Il réussit à écarter un peu les bras, une pointe d'exaspération, ah mais je ne sais pas moi. Elle regarde vers la porte pour vérifier que personne n’arrive. Comme personne n’arrive, elle chuchote, une pointe de reproche, «Tant pis, on commence».

18 févr. 2009

Les moyens du bord

Il mange un sandwich dans son auto, une grande bouteille de limonade débouchée coincée entre ses genoux. Les enfants descendent la rue en courant sous la neige qui tombe. Ils descendent pour rire, pour la vitesse, ils remonteront en tirant la langue. Je les suis et le regarde en passant. Il fait tourner son moteur pour manger au chaud. Il regarde droit devant lui, il marque sa solitude. Arrivés en bas, nous remontons la rue, sa voiture est toujours là qui fume dans le noir. Je suis garée devant lui, je fais monter les enfants et hésite à lui dire qu'on ne peut pas laisser son moteur tourner dans le vide. Et puis je le vois, il prend une goulée de limonade, il s'essuie la bouche au revers de sa manche. Je ne dis rien, je m'installe au volant, un regard au rétroviseur.

16 févr. 2009

Une pause

Je marche et je réfléchis, comme on continue dehors ce qu'on faisait dedans. Je n'ai pas de sac, ni mitaines, ni foulard non plus. Le soleil est fort, l'air vif, mon front se détend. Le béton des trottoirs est dénudé, sur le côté l'herbe jaune, rase et tassée d'avoir porté tant de neige. La structure pour enfants redessine lentement ses fonctions et quitte un peu cet air de base abandonnée. La lumière me pousse, je suis dehors un peu plus que d'habitude. Je décide de ne plus m'en faire.

11 févr. 2009

La souris

Elle croit parfois qu'il la poursuit. Elle court et rit alors, la bouche ouverte, cambrée pour éviter sa main qui la rattrape. Seulement lui s'est détourné, un autre jeu, une autre histoire. Elle jette un œil par dessus son épaule, le voit qui ne la suit plus. Elle s'arrête, elle n'est pas déçue. Elle le regarde et rit encore un peu, le souffle court.

9 févr. 2009

Le cocard

J'ai commencé la première, la tête en bas appuyée sur mes avant-bras, les jambes en l'air et la fille derrière moi pour ne pas tomber. Je suis redescendue très vite, ma partenaire a dit «c'est tout?». Elle s'est mise en position, la tête en bas entre ses bras à mes pieds, mes genoux dans son dos. Une position qu'on dit inversée, il faut imaginer. Elle devait monter une jambe après l'autre, doucement, moi les retenir une fois en l'air. Ça ne s'est pas passé comme ça. Elle a envoyé sa jambe droite si vite que je ne l'ai pas évitée. J'imagine que j'ai ressenti ce qu'un boxeur subit quand l'uppercut arrive qui l'envoie au tapis. Personne n'a compté jusqu'à dix pendant que je regardais le plafond en pleurant très fort. Ce soir le boxeur c'est moi.






8 févr. 2009

Le pincement

Il est assis sur le bord du bassin avec sa meilleure amie. Ils sont faits un peu pareil, des grands yeux, le corps en vallons gracieux. Elle joue avec ses lunettes, il regarde un peu dans le vague, les jambes ballantes. Soudain, ça me pince le cœur, j'ai peur qu'il soit malheureux. Je le scrute en écoutant distraitement mon amie. J'essaie de lire sur son grand visage. Le moniteur de natation arrive, les deux enfants sautent sur leurs pieds, entourant - tendus vers lui - le grand monsieur au casque de bain. Mon fils est tout joyeux, disparue la solitude que je croyais y lire. Je le regarde s'éloigner en essayant de me convaincre.

3 févr. 2009

Le jeu


Elle a cet air sérieux des enfants qui jouent fort. Elle range ses poupons à côté de moi, leur pose un gilet en guise de couverture. Le gilet est de travers, pas le même confort pour tout le monde : ce bébé bien abrillé, celui-là à peine couvert. Je comprend que ça n'est pas ça qui compte. Il faut être convaincue, faire les gestes avec le ton, le sourcil accentué ou la tête penchée. Quand elle a finit, elle dit en écartant les mains un mot en éééé et défait son installation. Elle recommence, à la fin du cycle je me redresse, attrape au vol sa déclaration, elle dit je crois «terminééééé».

2 févr. 2009

Ne pas travailler



bien prendre son temps, s'appliquer à colorier

La sieste

J'ai déjà bu deux grands thés, je finis un café. Je lis mais toutes les deux lignes je dois reculer dans le texte et essayer encore. Je vais me coucher, 15 minutes pas plus. Je lève la tête et cligne un oeil pour lire le radio réveil. Les 15 minutes sont loin, sans faire le décompte. J'entends mon mari chanter, vivant, actif. Je suis coincée dans mon lit, je ne pourrai jamais en sortir, je ne sais pas faire la sieste.

31 janv. 2009

L'attente

Je suis prête, elle dort. J'ai enfilé mes bottes, j'attends sur le canapé. Il fait très beau, tout est silencieux. Elle dort, nous allons être en retard. Je vérifie notre sac et ses affaires. Je pourrais me reposer, me coucher sur le tapis de leur chambre, à côté d'elle dans son sommeil et nous ne serions pas plus en retard. Mais ce serait trop ouvertement s'en moquer du temps qui passe, alors je reste tendue entre deux gestes.

28 janv. 2009

L'embouteillage

Nous sommes assis dans notre bonne vieille tercel et il neige encore. Je suis au carrefour à la sortie de la garderie. À droite, la rue Sherbrooke a l'air jammé mais je m'y engage, poussée par un espoir qui ne veut pas réfléchir. Nous sommes bloqués tout de suite. Je jette un œil aux enfants, je mets de la musique, une chanson triste que mon fils aime avec les paroles en poésie. À la troisième écoute, je change de disque, fatiguée de crier dans le rétroviseur des explications de texte mangées par la soufflerie.

22 janv. 2009

La reprise

Je branche la bouilloire et j'ouvre mon ordinateur sur la table de la cuisine. Je m'assois dos à la fenêtre, je pense aux nuits de décembre que j'y ai passées. Les fenêtres ont changé depuis, neuves et hermétiques je ne sens plus le froid mais si transparentes que la nuit derrière moi m'intimide. Une amie m'a offert un pull très chaud, je le porte pour travailler. Je ne vais pas sur facebook, j'ouvre un document word. J'ai apporté une pile de livres et j'hésite. Mon fils arrive pour me redire bonne nuit, «ah tu recommences à travailler ?». Je réponds oui, lui caresse la tête et le pousse vers le couloir.

18 janv. 2009

Le couvert

Ils ont faim, ils le disent. Ils tournent dans la cuisine en quête de rapine. Nous ordonnons le mécontentement avec l'autorité de ceux qui ont le pain, «mettez le couvert si vous avez faim». Mon fils grommelle et installe les assiettes des grands, la petite se met dans ses jambes pour faire avancer sa cause. Elle organise son camp : elle sort une assiette en plastique, qu'elle va poser devant sa chaise, puis une autre, encore une. Finalement cinq assiettes bien serrées, empilées à demi s'entassent à sa place. Debout à côté de ce parc, elle attend nerveuse que le miracle opère.

16 janv. 2009

Le froid

Je gratte le pare brise d'une main, je conduis de l'autre. Je suis recouverte de copeaux de glace et dois baisser la tête au ras du volant pour y voir quelque chose. Les enfants à l'arrière sont bien emballés chacun dans une couleur, bleu et rouge. Leurs yeux que la lumière aveugle papillotent dans la buée de nos souffles. Ils ne parlent plus. La radio en anglais occupe l'espace mais mon apprentissage matinal est déconcentré par les éléments. Tout s'évapore, même les arbres, sur le ciel terriblement bleu, j'entends qu'on parle de Gaza.

15 janv. 2009

Feng shui

À Hong Kong, certains occidentaux nonchalants ont construit des bâtiments sans respecter les prescriptions du feng shui. Ces immeubles sont boudés par les chinois et finalement par les occidentaux eux-mêmes qui ne réussissent pas à y attirer les services : cireurs de chaussure, femmes de ménage, livreurs de pizza, laveurs de carreaux, j'imagine. Les bâtiments restent inhabités. La sinologue passionnée dont je suis le cours nous met en garde contre des impairs irréparables que nous pourrions commettre à notre insu. Au restaurant par exemple, le choix d'une mauvaise place peut condamner sans appel une relation naissante. Je me demande si le verdict tombe avant ou après le repas.

11 janv. 2009

Nos billes

La réponse est arrivée par la poste avant Noël. Il l'ouvre et lit avec ses lèvres qui remuent. Il dit «ah... on est pris mais sur la liste d'attente». Je prend la lettre et lis à mon tour. Nous nous regardons, coincés par l'ambiguïté de la réponse «oui mais non». Nous ne réfléchissons pas mais laissons le temps à la réponse de délivrer son vrai message. Plus tard nous comprenons que c'est un refus qui ne dit pas son nom, que nous ne sommes pas pris, que notre fils n'ira pas dans cette école. C'est tout ajoutons-nous en essayant de passer à autre chose et de reprendre nos billes.

10 janv. 2009

L'insomnie



J'entre dans leur chambre, elle est debout dans le noir, la suce dans la bouche. C'est mauvais signe. Je la prend, la câline et hop la recouche. Elle se relève aussi vite que possible et s'accroche aux barreaux du lit. Elle tête et me regarde. J'ai froid, j'ai faim, il est presque cinq heures du matin et j'hésite. Elle tend des bras vers moi pour me convaincre, perd l'équilibre et tombe sur les fesses. Vite vite se relève l'œil vissé aux miens. Quel drôle de manège. Elle comprend que c'est gagné, elle souris avec un son, la fossette de travers. Je la prend dans mes bras et renifle son odeur aigrelette. Nous fermons la porte de la cuisine, je mets le chauffage à fond et le lait à chauffer. Il fait nuit dehors, elle danse de joie en se regardant dans la vitre du four.

Le savon


Nous arrivons tard à la garderie, la collation est déjà prête. Mon fils doit se laver les mains, il accroche au passage la bouteille de savon liquide vert qui tombe, s'ouvre et se répand. Je regarde le dégât et évalue mon retard. Je commence à essuyer le savon, mon manteau me gêne, je mouille mes poignets en rinçant le savon qui mousse sans fin. Je me dis que l'expression « jeter l'éponge » a été inventée un matin comme ça. Les enfants du groupe s'agglutinent et font pouah et beuuurk. Je fais bonne figure. Au moment de partir, l'éducatrice me demande si elle peut vérifier la tête de mon fils, ce matin un pou a été repéré sur la tête d'une amie. En pareil cas, la politique est de renvoyer l'enfant chez lui, alors comme je suis là, ça m'évitera de revenir. Je dis mais bien sûr et je m'assois. Je la regarde épouiller mon fils qui me regarde gentiment. À la fin, il n'a rien, il me fait un câlin discret mais serré. Je pars et me retourne : j'aimerais l'emmener avec moi.

8 janv. 2009

Le terrain (suite)


J'ai appris aujourd'hui que la Chine partage des frontières avec 14 pays, que c'est un pays très contrasté, que ses villes très polluées, qu'il n'y a pas d'huile d'olive
et huang rivière et he jaune.
C'est un début

4 janv. 2009

Les pieds

Il me dit qu'il faut commencer par les pieds, parce que c'est le plus difficile à dessiner et que du coup souvent on s'arrange pour qu'ils sortent du cadre ; on dit, l'air de rien, quand les pieds n'y sont pas, que c'est cadré comme ça, un peu plus haut c'est tout.
Seulement le dessin, il flotte. Et puis c'est paresseux et ça n'est pas malin de tirer au flanc quand on veut apprendre (ça c'est moi qui le dit et je m'y connais). Comme il se passionne, il me donne en exercice de regarder comment font les autres dans les bandes dessinées. Et bien en y regardant de près, c'est étonnant mais, et pour parler vulgairement, je dirai qu'il y en a beaucoup qui ne se font pas trop chier.

2 janv. 2009

Les lionceaux



Les lionceaux font de grands bonds qui sont comme des sauts, appelons-les des lionbonds
pour changer.

Glisser encore


Notre luge est trop étroite, elle se renverse toujours dans les descentes. Chez le dépanneur nous en achetons une plus large, avec un gros autocollant d'une marque de chips. Elle a deux freins qui rassurent sur les côtés. Fiers de notre acquisition, nous attendons le lendemain.
Nous y sommes, il fait très froid et nos vêtements font frout frout. La première descente nous la glissons avec circonspection du bout des fesses, les freins dans les mains. Rassurés sur la stabilité de notre embarcation nous glissons ensuite franchement et en criant. Avant la fin du jour, je tire mon fils, rouge et fatigué, assis silencieux dans sa voiture de course.

Glisser

Nous portons des patins neufs. Les miens sont très rembourrés et ne me font pas le pied léger. Mon fils pousse devant lui un cône en plastique. Il veut aller vite mais il ne sait pas, il rechigne à l'apprentissage. Il fait le tout mou, je ronge mon frein, je patine devant. Je reviens, il est couché sur la neige, il marmonne. Je dis « Quoi ?», il répète sans me regarder « mmalmmnmtiner »; « Quoi? » je répète avec trop d'autorité. Lui finalement les yeux dans les miens : « ÇA M'EST ÉGAL DE SAVOIR PATINER ». L'air est glacé tout autour de nous et personne ne vient à notre secours.

1 janv. 2009