Il me semble que c’est un jeu de patience, de patience et de dénuement.
Des morceaux d’os blanchis qu’on fait sauter dans ses mains en attendant le lendemain.

22 déc. 2008

Revenue

Je n'aime pas trop les préparatifs de fête. Organiser des matières, en avoir assez, avoir les bonnes. Je n'aime pas trop quand ça doit changer, attendre le moment rare. D'avoir travaillé sans plus regarder dehors, j'ai redécouvert la ville sous la neige ce matin et tout m'est revenu, les façons de faire avec le froid, les épaisseurs traîtresses, l'éternelle jeunesse de ma première tempête. Nos enfants apprennent le froid, ils apprennent aussi Noël et ses prescriptions.

21 déc. 2008

La musique forte

En pyjama, sur les miettes du petit déjeuner, debout soudain d'être pris par le démon de la danse, secouer la tête et les cheveux avec, faire des grands gestes convaincus et beaux, croiser le regard de ses enfants, la tartine à mi chemin de la bouche stupéfaite, les emporter, partir loin sur un solo de guitare qu'est même pas un solo. Redescendre très vite d'un manque de précision

13 déc. 2008

L'université

C'est samedi et je viens travailler. Ça fait longtemps que je travaille beaucoup maintenant et ça commence à se voir. Comme je ne me sens pas beaucoup plus intelligente, ni n'ai encore vu de lapin qui coule, je guette les autres signes de mon corps qui attend son tour. Les mains rouges et toutes sèches, les paupières gonflées et les gros gilets que je porte désormais tout le temps même quand je sors ; trop gros sous mon manteau, ils m'empêchent de bien baisser les bras et me rappellent mon état d'apprenti.

4 déc. 2008

Le matin

Ils sont partis, bien empaquetés dans leurs manteaux d'hiver. Je les regarde descendre, les trois tout encombrés les uns des autres. Du haut de l'escalier je reste avec eux mais la porte fermée, je n'y suis plus, ils continuent sans moi. L'été je descend sur le trotttoir, en guettant du coin de l'oeil un pyjama trop léger ou peut-être tâché. L'été même nous partons tous ensemble en bicyclette. L'hiver c'est autre chose... Je dois avant de me mettre au travail, ranger la maison de la nuit et de son petit déjeuner. Je reste debout et cherche le bout des yeux, le bout de l'ordre que je dois tirer, le houspiller comme un enfant traîneux.

28 nov. 2008

La radio

Quand il dit «oui» on entend oui , un oui qui ne dit rien d'autre, qui a finit une fois qu'est dit.
Comme on n'a pas l'habitude d'entendre parler comme ça, comme ça frappe. Sa voix aussi a quelque chose qui marque, en matière, elle a l'air de traverser un grand espace de poil et de souffle. Nous écoutons debout dans la cuisine et ça nous vient de loin. Nos voix à nous ont l'habileté des urbains, c'est pas pareil, c'est plus poudré, qu'y pouvons-nous.

19 nov. 2008

La reprise

La cagoule passe encore, la combinaison laborieuse mais nous l'enfilons. Les bottes la révoltent. Elle s'enfuit en se retournant, je pense à un film. Rattrapée, elle est chaussée, relâchée elle se jette sur le sol en hurlant. Se redresse en pleurs, défie courageuse ses pieds méconnaissables. Dans ces conditions, nous n'insistons pas. Je râle, cette chance qu'on refuse, et range au placard les bottes neuves et fourrées. Elle accepte des baskets trop grandes que son frère portait. Elle fait plac plac plac en marchant plat.

17 nov. 2008

Fin de session

L'économie des gestes

Les places sont fixées, je suis assise entre ma fille et mon fils en face de mon mari. Ma fille mange seule et sans regarder à la dépense. Je rattrape au passage ce qu'elle ne veut plus, j'esquive ses mains aux couleurs du repas. Je parle et j'écoute. Je regarde mon mari, le partage de ses gestes. La table nous constitue autour d'elle, penchés comme sur une maquette, je nous vois au travail. Je sors ma fille de sa chaise, elle dit «oh ohhhh» et apprécie avec moi l'étendue des dégâts. Son frère se penche sous la table et dit « y en a pas tant que ça !». Nous convenons d'un progrès. Il faudra après le repas frotter sa chaise et le sol, que je balaierai ensuite, absorbée consciencieuse.

12 nov. 2008

Parc avenue

L'avenue du parc en face de la montagne avec sa descente sur les tours me convainc toujours d'être là. Ce soir particulièrement, la lune très nette dans le ciel que le froid agrandit encore lui donne des airs de canyon. Cette avenue je la prend souvent je la connais très bien. Elle est mon avenue efficace par où je file rapide vers les enfants. Elle reste celle de mon dépaysement.

6 nov. 2008

Circonflexe

Elle a un nouveau poupon. Elle lui voue des excès, elle se jette sur lui, elle lui mange le visage. Elle le traîne par la jambe, elle lui parle mal, l'abandonne. « Ah quand même », je me détourne un peu. Elle le redécouvre, elle a un élan, je suis là aussi. Elle chantonne, elle le berce en tirant sur les é de «bébé». Elle me regarde en souriant, je lui rend son sourire. Elle le tire, elle le pousse, elle le porte, je les suis. Étrange petit binôme, drôle de mise en abîme. Le soir, elle le prend en pleurant un peu, lasse même de ce si grand amour.

5 nov. 2008

YES WE CAN

et l'espoir, et la joie, et les larmes

3 nov. 2008

Le désordre

Nous sommes arrêtés à la lumière avant d'emprunter une bretelle d'autoroute. Les choses sont bien ordonnées et nous ne les voyons pas. Derrière nous résonne une sirène, je regarde dans le rétroviseur, un camion de pompiers débroussaille à grand bruit les automobiles sur son passage. Je m'empresse de libérer la voie et me mets de travers devant mon voisin d'à côté. Le camion passe et hulule son urgence. Il est parti. L'ordre qui veut déjà se réinstaller nous trouve tout mal mis au milieu de la route, un peu coupables de notre écart.

1 nov. 2008

La science infuse

- tu sais comment faire pour devenir un savant ?
- non et ça m'intéresse
- alors tu mets de l'eau dans un verre; tu regardes longtemps ; tes yeux ils grossissent un peu
(Coup d'oeil au rétroviseur , ses index et pouces entourent chacun de ses yeux qui regardent au travers. Il prend un air, l'air hagard du savant sans doute)
- oui
- et après si le lapin coule tu es un savant
- ?
- .
- ah ... c'est pour ça que c'est difficile d'être un savant
- oui il faut que le lapin coule

29 oct. 2008

L'intervention

Je m'applique à bien répondre, j'ai travaillé alors je peux parler. Sans doute ma réponse est trop longue ou plutôt oui incompréhensible. Il ne faut pas se dire cela. Trop tard je me le dis. Je n'arrête pas, je me vois continuer. Les mots sortent vrillés et je n'atterris pas. Enfin, ça arrive, il y a un embarras, un silence et un embarras. Le professeur reprend son monologue sans me serrer la main ni me taper dans le dos. Je regarde bien devant moi, ne pas me vexer trop. De son discours, le professeur regrette un peu, il se tourne vers moi « et en effet comme vous venez de le mentionner». Alors bien sûr après c'est pire.

26 oct. 2008

Un concert à Montréal

Il y a beaucoup de personnes sur scène, en fait beaucoup de femmes. Assises, elles attendent leur tour, elles jouent un peu, prennent des poses mais leur réalité résiste, irréductiblement non mise en scène. Et puis elles s'animent, tapent dans leurs mains, tapent du pied, chantent très fort. Certaines chanteront seules. Et la guitare et la batterie et l'homme qui chante aussi scandent leur présence. Si fort et tous ensemble. Le concert s'arrête très vite et nous tardons à partir. Nous croisons les chanteuses dans leur manteau, le maquillage cru sous la lumière du hall.

24 oct. 2008

Les travaux

Des hommes casqués s'installent au milieu des routes, déforment le chemin des voitures comme les gros cailloux le ruisseau. Perchés au-bord d'un trou qu'ils viennent de commander, ils réfléchissent au meilleur moyen de le reboucher. Les autres qui ne se penchent pas, sont ceux qui l'ont creusés, ils fument en attendant. En passant tout près d'eux, je remarque l'extrême vulnérabilité de leur position - leurs corps dans le dehors au milieu des autos - et la dérisoire protection du «port du casque obligatoire».

22 oct. 2008

L'aéroport

À l'aéroport, je vois passer une longue colonne de chariots enfilés les uns dans les autres. Une vingtaine d'hommes la fait rouler, poussant et tirant en marchant. Ils portent des dossards à réflecteurs et je vois dans la lumière de mes phares l'inscription Opsis qu'ils affichent. Les hommes, jeunes, noirs ou asiatiques, bien couverts sous leurs dossards gardent le visage grave. Et ça se voit aux gestes tirés qu'ils peinent à le faire. Faire avancer cette colonne vide mais lourde aussi des voyages qui ne seront pas les leurs.

19 oct. 2008

L'école

Nous remplissons un formulaire. Le stylo dans la bouche, les yeux au plafond, nous hésitons à écrire le fond de notre pensée. L'inscription c'est pour notre fils, à l'école l'année prochaine. Les questions nous posent problème, nous râlons, «ses forces, ses faiblesses», ah non ça ne passe pas. Notre fils est singulier, ne le livrons pas en pièces détachées.
Nous voulons le mieux, nous nous demandons ce qu'est le mieux. Le formulaire se remplit lentement par les marges. Notre écriture s'applique sous la lampe de la cuisine. Il est tard, notre fils a quatre ans, le temps pour l'école de s'installer à table.

17 oct. 2008

Le rêve

Il me dit qu'il a rêvé et il me raconte tout seul.
- « J'ai rêvé que je t'écrabouillais le cou; ton cou était tout mou mais ta tête était dure. Je sais que c'était un rêve parce que je me voyais. Ça ne t'a pas fait mal?»
- « non non »
- « pardon hein »
- « ben non, c'est correct mon chéri... et je me laissais faire ? »
« oui ...non... mais tu sais dans les rêves on n'entend pas les cris, on voit juste les images »

15 oct. 2008

Le pont

J'emmène mon fils à une fête d'anniversaire. Un enfant sur la rive sud vient d'avoir 4 ans et nous traversons le fleuve pour les lui souhaiter. La route est neuve, le pont nous ne l'empruntons jamais. Il est très beau ce pont, on voit l'eau à travers son plancher. Il partage en deux son chemin, à droite la route des voitures, à gauche une voie ferrée. Nous dépassons des wagons du CN, du blé, des marchandises. Nous les dépassons mais je ne regarde pas trop, je tiens mes parallèles. Dans l'auto, il y a ce silence que j'aime bien avec mon fils, celui des moments bien installés.

12 oct. 2008

Le terrain humain

Je lis, je suis des pistes. Des pistes un terrain, un terrain humain peuplé comme en rêve d'êtres décousus, mi-soldats mi-chercheurs, je m'y vois et parfois plus. Ma famille m'entoure et me regarde, mon mari mon fils ma fille ma mère. Je change de forme sous leurs yeux, j'aime leur revenir de loin.

5 oct. 2008

Le télé-siège

Nous balançons nos jambes dans l'air frais de la montagne, ma mère mon fils ma fille et moi.
C'est moi qui ai eu l'idée, c'est moi qui regrette maintenant en imaginant ma fille me glisser des doigts. Finalement je me détends, pas longtemps nous voici proches de l'arrivée avec l'exigence des gestes précis : lever la barre, glisser ses fesses sur le bord, les pieds qui cherchent le sol, toucher le sol, se mettre debout. Le siège balance un peu derrière et surtout s'en balance qu'on n'y soit plus. Vite s'ôter de son chemin.

30 sept. 2008

La morsure

Il pousse un long hurlement de tout son cœur. J'arrive, je vois ma fille le pull et dedans le bras de son frère dans la bouche. Mon mari est là aussi, nous sommes tous les quatre dans le long cri qui jaillit. Je tire ma fille, elle sourit. Son père la tire aussi et l'assoit en retrait fermement. Il lui tape un peu la main en disant «non non non non non non non». Je remonte la manche et je vois la trace violacée presque percée, le sang qui affleure. Je dis moi aussi des choses en remuant la tête et je veux à mon tour taper la main de ma fille. Je le fais, elle rigole. Je me dis «bien sûr». Mon fils se calme, il regarde la marque sur son bras en tirant bien ses commissures vers le bas. Il désapprouve, il renifle. Il se sent mieux, il voudrait que ça dure : sa sœur en conséquence, ses parents solidaires, les caresses et les mots doux.

27 sept. 2008

Le terrain (encore)

Je n'en dors plus, je cherche partout. Je vois un film chinois et je m''imagine. Nous parlons du Mexique, je tente une formule. Mon mari propose la mafia russe et ses tatouages. Je me vois sans sous-titres dans des pays aux franges hostiles. Je regarde les autres étudiants dans la salle du séminaire. L'une part en Inde, elle est très chic; un autre revient du Brésil, il est fier sans trop le montrer, il dit Rio de Janeiro avec beaucoup d'accent. Un garçon explique qu'il travaille dans un hôpital psychiatrique, c'est là naturellement qu'il fera son terrain. Je ne dis rien du mien en point d'interrogation. Le professeur à la fin du cours accepte de me rencontrer à ce sujet.

Troubadour

Un soir, nous écoutons un disque de Malicorne, une chanson nous reste dans la tête, triste rengaine. Au milieu de la nuit, les enfants pleurent et toussent, nous les mouchons les recouchons «ils font l'amour sept ans, sept ans sans rien en dire, chante rossignolet». Le matin, ma fille se réveille à cinq heures malgré sa fatigue «je suis venu vous inviter pour venir demain à mes noces»; plus tard quand je monte dans l'auto «au premier tour qu'elle fait la belle tombe morte». J'arrive à l'université «il a pris son couteau se le plante dans les côtes». Sur le trottoir j'hésite à m'assoir, chanter la chanson une bonne fois pour toute, en entier avec toutes les paroles et la tristesse pour enfin me débarrasser.

15 sept. 2008

Les boules de sable

Quand nous allons au chalet de Janine et Fred, mon mari fabrique pour notre garçon des boules de sable qu'ils font glisser ensuite tout doucement dans l'eau du lac. Ça prend une technique particulière que les autres enfants de la plage observent du coin de l'oeil pour tenter de l'imiter. Moi aussi une fois j'ai essayé discrètement et je n'ai pas aussi bien réussi. Je ne réussirai pas non plus à expliquer de façon claire le geste qu'il faut pour obtenir de belles boules compactes. Si je m'efforce, je dirais qu'il faut, à un moment donné et peut-être assez vite, balancer d'une main dans l'autre la boule en formation.

13 sept. 2008

Le feu qui se ramasse

Mon fils court dans le couloir, des allers retours entre la cuisine et sa chambre. Il porte son costume de spiderman avec la cagoule. Les trous des yeux sont mal ajustés, il doit un peu tirer sur le menton pour y voir quelque chose; les trous de nez sont tout petits et pas du tout à la bonne hauteur. Pour la bouche rien, comme le vrai super il doit aspirer à travers le tissu. Elle est horrible cette cagoule. Il finit par l'arracher comme on remonte d'une apnée. Il dit qu'il est, c'est mystérieux, «le feu qui se ramasse».

10 sept. 2008

La course

Cela fait un moment que je l'observe. Je sens la crise proche. Il pousse les autres enfants, cherche les embrouilles. Les adultes lui parlent avec dans la voix l'intervention qui se prépare. Mon fils le regarde et je vois sa fascination. Je vois que tout comme moi il attend l'orage, les cris et les trépignements qui nous feront nous sentir à l'abri, bien tempérés. Finalement la mère arrive, elle ne me dit pas bonjour. Elle récupère son fils qui rue et refuse d'embarquer dans son auto. Il part en courant sur le trottoir, elle dit avec un peu de retard « bon d'accord tu fais la course». Bien sûr mon fils aussi part à courir et ça ne me plaît qu'à moitié. Je porte ma fille dans les bras et je calcule rapidement ma marge. En bas de la pente, face à nous, les deux enfants se sont mis en position. La mère lance le signal de départ. Mon fils court en tirant la langue, l'autre mère l'encourage. Il arrive loin derrière l'enfant nerveux. Ils remettent ça, redescendent la pente du trottoir, se mettent en position. Mon fils part soudain avant le signal. Il court mi-figue mi-raisin laissant loin derrière lui l'enfant fâché et son orage.

9 sept. 2008

Lecture rapide

Il y a les enfants, il y a le couple, il y a le travail. Il y a des priorités, il y a la tactique.
Une amie m'a appris la lecture rapide. Une technique précise : tu lis l'introduction, tu lis la conclusion ; tu lis la première phrase et tu lis la dernière phrase de chaque paragraphe, tu soulignes. Tu contrôles et tu évites les débordements. Il y a l'accomplissement et il y a le désir. Fragile équilibre.

7 sept. 2008

Elle comprend

Nous lui parlons. Nous lui posons des questions, lui expliquons ce que nous faisons ou ce que nous allons faire. Nous lui parlons parce que nous sommes avec elle. Et puis là, en passant je lui demande où est son chapeau, je lui demande parce qu'avec elle je pense à voix haute. Je lui ai posé une question et ça la met en route. Je la vois faire «Oh» avec sa bouche et tourner un peu sur elle-même. Je la vois voir son chapeau et le désigner et me regarder en le désignant.

3 sept. 2008

Le terrain

Le terrain est un endroit qui appartient à un anthropologue (on dit «mon terrain») ou qu'un anthropologue fabrique (on dit « j'ai fait le Mali», «j'ai fait le Nordeste»). Le terrain se doit d'être long ou régulièrement fréquenté (on dit «je suis resté X mois, X années» ou «j'y suis retourné régulièrement»). Le terrain est ou devient familier à l'anthropologue qui en devient le spécialiste, sans surplomb, intimement. Le terrain est lointain, ou en tout cas c'est mieux qu'il le soit. Prendre de la distance, prendre ses distances, revenir aux autres. Je dois trouver un terrain. Le monde est si grand et je suis timide.

1 sept. 2008

L'apprentissage

«Terminééééé» crie-t-il des toilettes. «Essuie toi tout seul» je lui réponds. Un temps. Il arrive, il est tout nu. Il se tourne, se penche et tend ses fesses, la tête en bas. «Est-ce que c'est propre?»
L'efficacité du geste m'interpelle. Comme ça ne l'est pas tout à fait, je vais chercher un peu de papier. Quand je reviens il n'a pas bougé, il est toujours la tête en bas, rouge. Il dit « j'apprends à m'essuyer maintenant».

31 août 2008

Arythmie

Je gesticule loin devant lui. La petite pleure à mes côtés, fatiguée, il faut rentrer. Je le lui crie plusieurs fois. Il est sur sa trottinette et s'entraîne à freiner. C'est difficile. C'est très long.
Il faut garder le talon en l'air au-dessus de la manette et l'appuyer seulement en cas de nécessité. Sur terrain plat, nous y sommes, on peut se passer complètement de cet accessoire. Mais il s'entraîne. Sa coordination toute neuve manque de rodage. Immanquablement le talon appuie sur le frein avant même qu'il ait démarré. Il ne s'impatiente pas, il essaie à nouveau, replace son pied, tente un démarrage et freine à l'arrêt. C'est très long. Je fulmine et me tire les cheveux. Je combine d'impressionnantes accélérations destinées à l'aspirer dans mon sillon à de brusques retours en arrière menaçants. Je tente une dernière formule pédagogique. Mon manège ne le déconcentre pas. Me reste l'incrédulité. Finalement fatigué par son entraînement, il entreprend de tirer maladroitement sa trottinette d'une main, l'autre bras replié derrière son dos. Je suis loin devant et me demande ce que c'est encore que ce trafic. Je lui enjoins de prendre ses deux mains, «je ne peux pas mon bras est occupé». Il arrive, tout rouge en sueur et me tend le pissenlit qu'il a cueilli.

27 août 2008

L'esclave

Alors on joue à Violette et Roch.
Dis : «Roch comme tu cours vite !». «Roch comme tu cours vite».
Plus vite que le robot, hein? Oh regarde Violette ce que j'ai trouvé.
Ah oui. Mais tu joues ? Oui oui. Alors viens. J'arrive.
Robert Filliou, L'esclave

La fanfare

La nuit elle se réveille. Je marche à tâtons jusqu'à leur chambre. Elle pleure très fort et si soudainement. Elle est debout accrochée aux barreaux de son lit. Il arrive que dans le noir mon amour se perde, le scandale me frappe. Je chuchote alors très fort des injonctions au silence pour couvrir ses pleurs. C'est inutile et ça empire, mais parfois les bras m'en tombent.

26 août 2008

La rentrée

Nous arrivons, mon fils sautille, certain de retrouver enfin son ours perdu. Nous le pensons caché sous un banc, mais tout est bien rangé pour la rentrée, rien ne traîne et la peluche reste introuvable. J'arrête de chercher, il prend sur lui mais ça se voit quand même, son inquiétude. Je le laisse à reculons, il me fait un petit signe en coiffant distraitement une poupée brune.

20 août 2008

Le retour

Ils n'étaient pas là et nous nous habituions. Ils sont revenus, leur visage a changé, ils sont plus grands non? Ils ont dans les yeux des trucs dont nous n'avons pas idée. Nous nous serrons, nous écartons, pas certains que ce soit comme avant. Ma fille sent le patchouli.

19 août 2008

Les lunettes

Quand nous roulons et que le soleil est fort, nous coinçons dans les vitres arrières des draps qui protègent les enfants. En général nous n'obstruons qu'un seul côté à la fois. Ce jour là, celui du départ et de la longue route, le soleil est très fort et brûle de partout, nous accrochons donc deux draps, un à gauche, l'autre à droite. Au stop, je vois bien que je ne vois pas, mais comme j'ai fait gauche-droite avec ma tête, je me sens autorisée à démarrer. Nous sommes partis, je me dis, on doit pouvoir faire avec les angles morts rendus aveugles. Je démarre et mes passagers aussi par la force des choses. Je vois mon mari se ratatiner sur son siège en regardant par la fenêtre et dans le rétroviseur soudain très proche une voiture qui n'y était pas. Mon mari dit sa peur et me regarde, sa confiance ébranlée. J'essaie d'afficher un profil concentré qui puisse convaincre. Mon fils m'appelle. Je veux dire que je ne peux pas mais du coin de l'œil je vois : il me tend de l'arrière gentiment mais fermement mes grosses lunettes rouges.

chien de prairie

Vers les deux heures du matin, souvent c'est son heure. Elle s'agite, griffe les draps. Et puis immanquablement à force elle se réveille. Elle a alors cette façon si particulière qu'ont les tout petits de s'assoir : elle entreprend de s'assoir. Le corps en entier impliqué qui décompose parfaitement l'action, pourtant m'échappe maintenant l'ordre exact de ses gestes. Une fois assise, elle cherche des yeux les miens, ses mains sur les genoux.

18 août 2008

Le vol de la mouette

Je suis debout sur la plage. Le sandwich dans une main, deux tranches collées l’une sur l’autre avec au milieu de la tartinade. Mon mari l’a préparé ; deux tranches plutôt qu’une seule pliée en deux. Je suis devant la mer, debout, le sandwich tenu haut proche de mon visage . Je regarde mon fils sans doute, et aussi la mer. Je mange, attentive mais pas certaine d'être vraiment là. Et puis comme une réalité qui me réveille, je sens une poussée, derrière, quelque chose d’un peu chaud contre mon épaule. Le sandwich emporté, mes mains vides et la mouette déjà haut au-dessus des vagues. Le visage de mon fils en face de moi, un léger dégoût du contact avec l’animal, les cris des deux touristes derrière, leur stupéfaction : il faut se rendre à l’évidence, je me suis fait chourave mon sandwich.