Il me semble que c’est un jeu de patience, de patience et de dénuement.
Des morceaux d’os blanchis qu’on fait sauter dans ses mains en attendant le lendemain.

26 janv. 2011

L'enfance nue


L'enfance nue, Maurice Pialat, 1969.

Elle regarde la voiture qui l'emmène s'éloigner, lui aussi à l'intérieur tord un peu son cou pour continuer à la voir. Elle se serre dans ses bras, l'air humide du matin qui la pénètre. Elle se retourne soudain vieillie, suit le petit chemin dallé et monte les trois marches du perron de la cuisine. Elle ne regarde pas l'auto qui tourne le coin de la rue, il part, il est parti, elle n'en voulait plus et maintenant elle ressent au fond d'elle-même sa responsabilité de l'aimer. Son premier geste dans la cuisine est de prendre son bol et sa cuillère laissés sur la table pour les laver sous l'eau du robinet; elle les repose délicatement sur la céramique blanche et cannelée qui sert d'égouttoir, elle les repose tout doucement et cette délicatesse est pour lui, toute sa délicatesse qui lui reste qu'elle ne peut donner sinon à cette cuillère et à ce bol c'est pour lui. Elle ira faire les lits et défaire celui du garçon parti. Il faut toujours tenir l'ordre car il est le plus important, il a la priorité, on doit le protéger du chaos des sentiments autant qu'il nous protège d'eux. Elle attrape un torchon qui pend à son endroit, une barre fixée sur le côté de l'évier, elle s'essuie les mains et glisse à nouveau le torchon à cet endroit. Puis elle revient à la table de la cuisine où la fillette finit ses céréales dans un bol identique à celui que sa mère vient de laver.

19 janv. 2011

La girafe

Je cherche partout un cache-cou, oui le violet, celui de la petite. Je pars avec le grand tant pis pour le cache-cou. Je marche m'applique à ne pas m'agacer des soupirs derrière moi, enfant esclave et sac de plomb. Il a trop chaud il enlève ses mitaines. Je lui trouve un air engoncé plus que d'habitude, je me remets en marche vigoureusement pour l'aspirer. Plus loin je me retourne je l'attend approcher et là je le vois : la tuque au ras des yeux le rouge aux joues qui n'en peuvent plus, il a deux cache-cou, au-dessus du bleu le violet. Incrédule je le pointe, il dit «quoi?» avec la voix anéantie d'une onzième plaie d'Égypte.

16 janv. 2011

Itinéraire bis

Je mange sans regarder je me ferme dans la douleur qui barre mon dos, une épaule plus haute que l'autre, tout le monde à ma gauche en angle mort. Mon fils mange son yogourt. Il me jette des regards je le sens bien je fronce les sourcils en parade contre toute tentative. Il y va quand même il dit « T'as pas envie de rire on dirait » je ne réponds pas vraiment en fermant un peu les yeux. « Ça parait » qu'il ajoute en raclant son bol consciencieusement. J'hésite devant l'embranchement que m'ouvre cette réplique : vers le sud, je rigole un peu; vers le nord, je resserre encore. Je choisis le nord.

12 janv. 2011

Sans titre

Je lis une partie de la nuit le blog d'une femme morte. Elle écrit sur sa maladie qui l'emporte. Je ne sais pas pourquoi je sais pourquoi je suis ainsi suspendue. Ma fille se réveille en pleurs je m'allonge auprès d'elle je continue ma lecture le petit écran brille dans le noir. J'apprends une chose importante sans nom ni sentiment je crois que ça à voir avec le vide. Par habitude je voudrais avoir peur mais ça ne vient pas, rien ne vient combler cet espace découvert.