Il me semble que c’est un jeu de patience, de patience et de dénuement.
Des morceaux d’os blanchis qu’on fait sauter dans ses mains en attendant le lendemain.

26 janv. 2011

L'enfance nue


L'enfance nue, Maurice Pialat, 1969.

Elle regarde la voiture qui l'emmène s'éloigner, lui aussi à l'intérieur tord un peu son cou pour continuer à la voir. Elle se serre dans ses bras, l'air humide du matin qui la pénètre. Elle se retourne soudain vieillie, suit le petit chemin dallé et monte les trois marches du perron de la cuisine. Elle ne regarde pas l'auto qui tourne le coin de la rue, il part, il est parti, elle n'en voulait plus et maintenant elle ressent au fond d'elle-même sa responsabilité de l'aimer. Son premier geste dans la cuisine est de prendre son bol et sa cuillère laissés sur la table pour les laver sous l'eau du robinet; elle les repose délicatement sur la céramique blanche et cannelée qui sert d'égouttoir, elle les repose tout doucement et cette délicatesse est pour lui, toute sa délicatesse qui lui reste qu'elle ne peut donner sinon à cette cuillère et à ce bol c'est pour lui. Elle ira faire les lits et défaire celui du garçon parti. Il faut toujours tenir l'ordre car il est le plus important, il a la priorité, on doit le protéger du chaos des sentiments autant qu'il nous protège d'eux. Elle attrape un torchon qui pend à son endroit, une barre fixée sur le côté de l'évier, elle s'essuie les mains et glisse à nouveau le torchon à cet endroit. Puis elle revient à la table de la cuisine où la fillette finit ses céréales dans un bol identique à celui que sa mère vient de laver.