Il me semble que c’est un jeu de patience, de patience et de dénuement.
Des morceaux d’os blanchis qu’on fait sauter dans ses mains en attendant le lendemain.

5 juil. 2011

La plongée

Je vais arrêter de tenir ce blog, je veux essayer de continuer différemment sans les applaudissements muets mais chaleureux de l'internet. Merci merci merci.

10 juin 2011

En studio

Elle chante debout devant le ventilateur son micro. Elle colle presque sa bouche, sa voix frise dans le grand vent : le souffle qui la repousse en plie un peu les sons. Elle invente au fur et à mesure du chant, un déhanchement en contre-temps, si elle savait elle fermerait une main en coquille sur son oreille.

31 mai 2011

La game

Il est appuyé épaules et tête contre le mur de briques, sa trottinette pend au-bout de son bras abandonné. Sans voir son visage ni l'entendre je sais qu'il pleure. Nous sommes dans la ruelle, dans la lumière du soir je m'approche de lui et j'ajoute à la liste de ses devoirs, comprendre les filles.

22 mai 2011

L'aspiration

Ils ont été attirés par la lumière, ses feux rougeoyants qui font croire qu'on n'aura pas froid. Ils s'entrainent l'un l'autre sur le chemin au milieu des herbes hautes des herbes rouges encore plus de ce soleil incroyable qui va se coucher. La curiosité les réchauffe, découvrir ensemble ce monde du bout du chemin. Brutalement leur joie devient plomb aux rayons disparus comme les herbes qui s'assombrissent et le froid qu'on n'avait plus senti capture. Tout est trop léger pour l’empêcher, il gratte au bord des manches serre les cous les fronts les pieds, le corps nu sous son emprise. Pauvres papillons pourquoi êtes-vous allés si loin.

21 mai 2011

La capture

Il pleure. C'est son chagrin qui montait. Nous l'avions vu de loin comme dans les westerns le nuage de poussière à l'horizon transformé plus tard en cavalcade bruyante et m'as-tu-vu dans la rue principale du bled. Son chagrin à lui n'a rien à prouver, il force le petit qui finit par céder sous son emprise, secoué par ses sabots puissants. Son chagrin c'est l'école. Nous dormons mal, justiciers désarmés aux rêves d'incendie.

Le signe

Pour m'encourager, elle tend sa main face à moi, paume ouverte, doigts écartés. Je mets du temps à comprendre qu'il faut, pour que ça marche, que j'y appuie la mienne, paume ouverte, doigts écartés, avec assez d'élan pour que ça n'ait pas l'air d'une prière.

10 mai 2011

La surprise

Je pédale vite pour ne pas arriver en retard au souper. Ma fille derrière sur le porte bagage me parle il y a du vent j’entends mal. Elle dit je crois que tu vas être contente elle dit encore des choses que je n'entends pas. Elle dit et cette fois en criant ON T'A ACHETÉ UNE ROBE À POMPONS. Je ris je ris à cause des pompons et de la mèche vendue avec candeur.

6 mai 2011

Le lit

Elle tombe du lit. Souvent, régulièrement. L'autre soir pile au moment où je rentrais dans leur chambre. Je vois son corps rouler sur le côté et tomber, mon élan trop tardif pour la récupérer. Le corps mou du sommeil décompose la chute plus lentement mais aussi inexorablement. Je me demande quand se disciplinera cette enfant aux dimensions réduites de son espace nocturne.

4 mai 2011

Les idées

Pour ne pas les perdre en sortant de la bibliothèque je les dis à voix haute, je les organise. Je parle en exposé très sérieusement et tout en dépend. Je joue et je ne joue pas. Je m'accroche je me tiens. Je soupèse je marche. Quand je croise sur le trottoir quelqu'un que je n'avais pas vu venir et qui surprend mon soliloque je marche plus vite les sourcils froncés les lèvres pincées. L'intrus passé je reprend le marmonnage.

28 avr. 2011

Analogie

Elle découvre Star Wars derrière son frère. Elle déplace le sens des actions et des personnages de la série galactique dans sa propre cosmogonie. Ainsi le droïde R2D2 devient lardeuxD2 petit fétiche de plastique qu'elle fait voler au-dessus de sa tête.

24 avr. 2011

Le moins

- Si je pouvais... mais je n'ai pas d'argent, on n'a pas d'argent, pas une cen', rien dans mes poches.
Nous marchons entre les rayons d'un magasin de jouets, une vieille promesse que nous avons finit par tenir lâcher sous l'usure de la demande. Je marche dans les rayons ma fille restée fixée devant des poupées blondes son frère accroupi avec son père qui détaillent le contenu d'une petite boîte de légo. Mon œil ne se fixe sur rien. J'écoute un autre père et son fils, il est jeune il parle fort l'enfant a 6 ans. Ce que dit le père rebondit contre les rayons colorés et fracture l'espace d'achat de sombres petits éclats sonores. Il dit qu'il n'a pas d'argent. Il dit qu'il ne peut rien acheter, non pas même cette épée à 10 dollars cinquante. Il le dit autant à nous qu'à son fils à qui je voudrais dire sors, sors. L'enfant silencieux glisse ses mains sur les rayons, retenues par la rengaine de son père : j'ai pas d'argent, on n'a pas d'argent, si j'avais ...je sais pas... 1000$ ... je t'en achèterai des choses.
Nos enfants ont choisi, deux cadeaux à presque 20$ chaque. Je paye nous sortons, derrière nous l'enfant et son père restent encore à soupeser.

12 avr. 2011

Le ralenti

Sous la pluie la femme policier replie la couverture de survie qui attrape la lumière des gyrophares. La jeune femme porte un unique gilet pare-balles sur sa chemise bleue claire boutonnée haut. Ses gestes sont précis indifférents à ce qui tombe du ciel. Une ambulance et plusieurs voitures de police sont stationnées entre deux cordons de sécurité orange que protègent encore deux voitures de police pour bloquer ce segment d'avenue. Il pleut il fait nuit je roule au ralenti dans le sens inverse. Des hommes des femmes s'affairent : l'un accroupi referme les rabats d'un sac de matériel, il se lève et marche vers l'ambulance. Deux autres replient une civière, plusieurs forment un groupe serré, conciliabule. Je tourne après le barrage sur ma gauche pour rejoindre mon bureau. Une voiture dans l'autre sens veut forcer le cordon et attend qu'on lève l'obstacle devant son impérieuse volonté dont témoigne son clignotant. Le policier assis dans la voiture qui fait barrage ouvre sa portière et sans descendre adresse au chauffeur un geste écoeuré dont je pourrais sous-titrer toute l'incompréhension lasse. En gros et pour le dire poli «Qu'est-ce tu crois que tu fais, là?»
Je longe la track de chemin de fer, bientôt arrivent des phares dans mon rétroviseur, c'est l'ambulance que je viens de croiser. Elle roule patiemment derrière moi qui ne vais pas vite. Aucune des lumières qui signalent habituellement son urgence n'est allumée. Sans doute que ça n'est plus la peine.

3 avr. 2011

Le bois

Nous pédalons entre deux rangées de bois serrés troués régulièrement par un terrain dégagé autour d'une maison proprette ou délabrée et hostile. Nous craignons les chiens qui surgissent des propriétés; la plupart sont attachés et aboient au bout de leur chaîne. Nous accélérons pour quitter leur territoire, ne pas tirer trop sur la corde qui les retient. Mais d'autres sont libres ils s'élancent sur la route au devant de nos roues. La peur me galvanise, ma fille contre mon dos terrifiée cache ses yeux sous son casque. Je crie d'une voix forte «couché le chien» je crie plus fort en direction de la maison «rappelez votre chien». Les maisons les portes et les fenêtres restent muettes. Ces bois sont l'arrière-pays du Québec, une nature dure frontale qui ne reconnaît que les siens.

4 mars 2011

Le téléphone

Sa voix arrive dans mes oreilles pleine d'effort et d'attente. Elle ne répond pas vraiment mais elle garde le combiné, elle est là dans son souffle je la vois. Je parle pour la distraire je mêle mon souffle au sien. Et puis j'entends ça monte tout d'un coup un grand cri rond qui lui sort de la bouche. Je ne peux plus la rejoindre mais elle ne rend pas le combiné. Alors on lui prend alors on raccroche.

2 mars 2011

Le saut

Elle plie les genoux les bras se tendent un peu en arrière, le buste penché en avant avec la tête quand même qui tire vers le haut pour s'élancer. Attention elle va sauter. Ah. Les pieds au sol se refusent à la synchronie, ça n'est pas encore un saut ils ont fait tap tap. Elle recommence. Attention elle va sauter. Elle se ramasse, elle tire de toutes ses forces, les pieds décollent du sol, pas longtemps mais en même temps. C'est un saut. Elle nous regarde ravie : elle a sauté et voilà une clairière qui s'ouvre.

24 févr. 2011

L'ami

Il a un nouvel ami qui est plus vieux que lui. J'ai compté, quatre ans. Je me demande on se demande je lui demande « mais ça va? il a des amis de son âge? ». Mon fils réfléchit et répond « oui mais les autres sont plus solitaires et lui il est solidaire ».

26 janv. 2011

L'enfance nue


L'enfance nue, Maurice Pialat, 1969.

Elle regarde la voiture qui l'emmène s'éloigner, lui aussi à l'intérieur tord un peu son cou pour continuer à la voir. Elle se serre dans ses bras, l'air humide du matin qui la pénètre. Elle se retourne soudain vieillie, suit le petit chemin dallé et monte les trois marches du perron de la cuisine. Elle ne regarde pas l'auto qui tourne le coin de la rue, il part, il est parti, elle n'en voulait plus et maintenant elle ressent au fond d'elle-même sa responsabilité de l'aimer. Son premier geste dans la cuisine est de prendre son bol et sa cuillère laissés sur la table pour les laver sous l'eau du robinet; elle les repose délicatement sur la céramique blanche et cannelée qui sert d'égouttoir, elle les repose tout doucement et cette délicatesse est pour lui, toute sa délicatesse qui lui reste qu'elle ne peut donner sinon à cette cuillère et à ce bol c'est pour lui. Elle ira faire les lits et défaire celui du garçon parti. Il faut toujours tenir l'ordre car il est le plus important, il a la priorité, on doit le protéger du chaos des sentiments autant qu'il nous protège d'eux. Elle attrape un torchon qui pend à son endroit, une barre fixée sur le côté de l'évier, elle s'essuie les mains et glisse à nouveau le torchon à cet endroit. Puis elle revient à la table de la cuisine où la fillette finit ses céréales dans un bol identique à celui que sa mère vient de laver.

19 janv. 2011

La girafe

Je cherche partout un cache-cou, oui le violet, celui de la petite. Je pars avec le grand tant pis pour le cache-cou. Je marche m'applique à ne pas m'agacer des soupirs derrière moi, enfant esclave et sac de plomb. Il a trop chaud il enlève ses mitaines. Je lui trouve un air engoncé plus que d'habitude, je me remets en marche vigoureusement pour l'aspirer. Plus loin je me retourne je l'attend approcher et là je le vois : la tuque au ras des yeux le rouge aux joues qui n'en peuvent plus, il a deux cache-cou, au-dessus du bleu le violet. Incrédule je le pointe, il dit «quoi?» avec la voix anéantie d'une onzième plaie d'Égypte.

16 janv. 2011

Itinéraire bis

Je mange sans regarder je me ferme dans la douleur qui barre mon dos, une épaule plus haute que l'autre, tout le monde à ma gauche en angle mort. Mon fils mange son yogourt. Il me jette des regards je le sens bien je fronce les sourcils en parade contre toute tentative. Il y va quand même il dit « T'as pas envie de rire on dirait » je ne réponds pas vraiment en fermant un peu les yeux. « Ça parait » qu'il ajoute en raclant son bol consciencieusement. J'hésite devant l'embranchement que m'ouvre cette réplique : vers le sud, je rigole un peu; vers le nord, je resserre encore. Je choisis le nord.

12 janv. 2011

Sans titre

Je lis une partie de la nuit le blog d'une femme morte. Elle écrit sur sa maladie qui l'emporte. Je ne sais pas pourquoi je sais pourquoi je suis ainsi suspendue. Ma fille se réveille en pleurs je m'allonge auprès d'elle je continue ma lecture le petit écran brille dans le noir. J'apprends une chose importante sans nom ni sentiment je crois que ça à voir avec le vide. Par habitude je voudrais avoir peur mais ça ne vient pas, rien ne vient combler cet espace découvert.