Il me semble que c’est un jeu de patience, de patience et de dénuement.
Des morceaux d’os blanchis qu’on fait sauter dans ses mains en attendant le lendemain.

15 sept. 2009

Le patron de Segal

Plus jeune quand je remontais tard le soir le boulevard Saint-Laurent, je le voyais souvent derrière la vitrine de son commerce fermé, affairé à quelques obscurs décomptes qu'éclairait la faible lumière d'une lampe posée sur une caisse. Il pouvait être minuit qu'il travaillait encore. Je remonte aujourd'hui du Sud au Nord assez tôt le matin, non pas le boulevard Saint-Laurent mais sa première parallèle à l'Est. Je le vois encore. Il porte les mêmes vêtements informes, les cheveux hirsutes, le poil pas rasé. De ce côté-ci du commerce, il négocie, il supervise les marchandises qui rentrent, il signe des bons de livraison. Ce matin au volant d'un monte-charge, il flirt avec l'une de ses caissières. Debout à côté de l'engin arrêté, elle tient son café d'une main et bourre de l'autre l'épaule du patron de petits coups moqueurs. Elle rit la tête en arrière, lui ne rit pas mais cela se voit qu'il joue aussi. Je passe à vélo à côté d'eux, je les dépasse, je ne peux m'empêcher de tourner la tête pour les voir encore. Il garde inattaquable cet air têtu et juvénile qui le distingue. Il est en affaire.